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Un homme de la ville en ce bourg isolé,
D’où plus d’un malheureux, hélas ! s’est exilé !
Pourtant son nom brillait dans nos vieilles histoires,
Il avait ses pardons, ses marchés et ses foires ;
Mais on nous a tout pris, et le chemin nouveau
Fera de ces débris un immense tombeau.
Je puis ainsi pleurer dans toute ma tristesse,
Moi qui dès mon enfance ici servais la messe,
Quand devant nos autels je rencontre un seigneur
Qui, des grands souvenirs épris, leur rend honneur.
Ah ! cet ange qui suit par la main son vieux père
Sait que dans l’avenir par lui du moins j’espère !
Mais malheur aux ingrats, honte à ces oublieux
Qui foulent sous leurs pieds les os de leurs aïeux !
Le plus humble grandit s’il comprend la noblesse,
Celui qui jeune encor sait aimer la vieillesse
Conserve son cœur jeune, et vieux il se verra
Vénéré par les fils de ceux qu’il vénéra ! »

Du brave sacristain la voix toujours plus forte
Jusqu’aux voûtes montait, lorsque la grande porte,
S’ouvrant, me laissa voir (scène présente encor !)
Des femmes qui portaient un long ornement d’or,
Une étole splendide, où ces femmes, ces filles
Avaient tout un hiver émoussé leurs aiguilles
Pour le saint protecteur qui de là, dans un coin,
Peut bénir les vaillans qui combattent au loin,
Sur tes bords, ô Crimée ! oui, leurs fils et leurs pères,
Leurs amans. Et les sœurs n’oubliaient pas les frères.
Le cortège, l’été par la cloche, avança.
Lorsque la plus âgée au cou du saint passa
L’étole d’or, l’enfant répandit ses corbeilles,
Et ses petites mains, plus que les fleurs vermeilles,
— Ainsi Jésus enfant travaillait de tout cœur, —
Sur la nef, les tombeaux et le pavé du chœur,
Semèrent les bleuets, les fraîches églantines,
Les glaïeuls nés aux voix des ondes argentines :
Des guirlandes de buis tenaient comme lié
Le saint toujours vivant de ce bourg oublié.