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main qui se trouvait à côté d’elle sur la couverture; elle ne pouvait parler. Mistress Thornton soupira : Je serai une véritable amie si les circonstances l’exigent, non une tendre amie. Cela, je ne le puis pas — pour elle, fut-elle sur le point d’ajouter, mais elle se retint à la vue de ce visage inquiet et douloureux. — Il n’est pas dans ma nature de montrer de l’affection même lorsque j’en ressens, et je n’offre pas volontiers mes conseils. — Elle s’arrêta. Mistress Thornton était trop consciencieuse pour promettre ce qu’elle n’avait pas l’intention de tenir, et montrer d’une manière ou d’une autre de la tendresse pour Marguerite, plus détestée à ce moment que jamais, lui était difficile, presque impossible.

« — Je promets, dit-elle avec une grave sévérité qui inspira après tout à la mourante confiance dans quelque chose de plus stable que la vie elle-même, je promets que dans toutes les difficultés qui porteront miss Hale...

« — Appelez-la Marguerite, dit avec effort mistress Hale.

« — A venir chercher mon appui, je la soutiendrai de toute ma puissance, comme si elle était ma propre fille. Je promets aussi que si jamais je lui vois faire ce qui me paraîtrait mal...

« — Mais Marguerite ne fait jamais le mal, jamais volontairement, dit mistress Hale. Mistress Thornton continua comme si elle n’avait pas entendu:

« — Si jamais je lui vois faire ce que je jugerai le mal, — non pas envers moi ou les miens, dans lequel cas on pourrait me supposer un motif intéressé, — je l’avertirai sincèrement et franchement comme je désirerais qu’on avertit ma propre fille.

« Il y eut un long silence. Mistress Hale sentait que cette promesse ne renfermait pas tout, et cependant c’était beaucoup. Il y avait là des réticences qu’elle ne comprenait pas, mais elle était faible, étourdie et fatiguée. Mistress Thornton passait en revue tous les cas probables dans lesquels elle aurait à accomplir sa promesse. Elle ressentait un sauvage plaisir à l’idée de dire à Marguerite de dures vérités sous prétexte d’accomplir son devoir. Mistress Hale rompit enfin le silence.

« — Je vous remercie, je prie Dieu de vous bénir. Je ne vous verrai jamais plus dans ce monde, mais mes dernières paroles sont celles-ci : Je vous remercie pour la promesse que vous m’avez faite d’être tendre envers mon enfant.

« — Tendre, non, répondit en insistant mistress Thornton, disgracieusement véridique jusqu’au bout; mais, après avoir mis sa conscience en repos par ces paroles, elle fut assez satisfaite qu’elles n’eussent point été entendues. Elle pressa la douce et languissante main de mistress Hale, se leva et sortit de la maison sans voir personne. »


Nous l’aimons telle qu’elle est, cette ferme et peu gracieuse mistress Thornton. Du reste elle n’avait d’estime que pour les caractères trempés comme le sien, et quelle que fût sa haine pour Marguerite, elle ne pouvait s’empêcher d’avoir pour elle une certaine considération. « Une fille volontaire, et qui n’aime pas que personne mette le nez dans ses affaires, à la bonne heure! je l’aime ainsi, » dit un jour mistress Thornton après une visite accomplie dans l’intention de tenir