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ancêtres de ces mêmes Saxons du nord, qui accompagnaient au combat leurs maris et leurs fils, toujours prêtes à ranimer leur courage, à panser leurs blessures et à les consoler des défaites par les perspectives des prochains combats. Il n’y a que les rôles de changés, la nature est la même ; seulement, au lieu d’être la femme d’un guerrier, elle est la veuve d’un manufacturier. C’est une walkyrie bourgeoise, et cette expression n’a rien d’impropre, car mistress Thornton pourrait au besoin lancer la fronde et jouer de la lance. Écoutez ce petit fragment d’une de ses conversations avec miss Hale. La ville est menacée d’une grève d’ouvriers : « Mais assurément vous n’êtes point lâche, n’est-ce pas ? Milton n’est pas une place convenable pour les lâches. Un jour j’ai été obligée de me frayer un passage à travers des flots d’hommes irrités qui juraient qu’ils auraient le sang de Makinson aussitôt qu’il mettrait le pied hors de sa manufacture. Il ne savait rien de tout cela ; il fallait que quelqu’un allât l’avertir, ou c’était un homme mort. Ce quelqu’un devait être une femme ; j’allai donc. Une fois entrée, impossible de sortir. Ma vie était engagée autant qu’elle pouvait l’être. Je monte alors au premier, où l’on avait empilé des pierres pour jeter sur la tête de la foule, si elle essayait de forcer les portes de la manufacture, et je les aurais lancées aussi bien qu’un homme, si je ne m’étais pas évanouie à cause de la chaleur que ma course m’avait causée. Si vous demeurez à Milton, il vous faudra prendre un brave cœur, miss Hale. »

Cette femme aux sentimens robustes et profonds, capable d’aimer beaucoup, est aussi capable de beaucoup haïr. Il y a dans ce roman une scène qui éclaire merveilleusement ce caractère. M. Thornton, amoureux de Marguerite, a été repoussé par elle ; c’est dire que miss Hale s’est valu la haine de mistress Thornton, qui avait vu cette inclination de mauvais œil, et jugeait déjà une telle union indigne de son fils. Sur ces entrefaites, mistress Hale, qui est à son lit de mort et qui ne sait rien de ces affaires secrètes, mande mistress Thornton et lui recommande sa fille, qu’elle va laisser sans appui. Mistress Thornton veut-elle servir de mère à sa fille ? Cette dernière, incapable de dissimuler, même pour adoucir les derniers momens d’une mourante, laisse entendre qu’elle pourra bien aider miss Hale, mais non l’aimer.


« — Vous avez une fille, madame : — ma sœur est en Italie, ma fille sera sans sa mère dans un pays où elle est étrangère, — si je meurs, voudrez-vous ?…

« — Vous désirez que je sois une amie de miss Hale ? dit mistress Thornton de sa voix mesurée, qui résonnait distincte et claire, non adoucie par l’émotion d’un pareil moment.

« Mistress Hale, les yeux toujours fixés sur mistress Thornton, pressa la