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Ce qui pressait le plus et ne pouvait être différé, c’était de se mettre à l’abri de tout nouvel assassinat, et de profiter du premier mouvement de l’indignation publique contre l’auteur du complot et ceux qui y avaient pris part. Or l’auteur du complot, c’était le duc de Beaufort, aidé de ses principaux officiers et de quelques gentilshommes de la maison de Vendôme. Il fallait donc arrêter Beaufort et lui faire son procès. La reine y consentit. On peut juger par là de l’autorité que Mazarin avait prise, et jusqu’où Anne d’Autriche pourrait aller un jour pour défendre un ministre qui lui était cher. Le duc de Beaufort était, avant la mort de Louis XIII, l’homme en qui la reine avait le plus de confiance, et pendant quelque temps on l’avait cru destiné au rôle de favori. Depuis, il avait bien gâté ses affaires par ses airs avantageux et par son évidente incapacité, surtout par sa liaison publique avec Mme de Montbazon ; mais la reine avait une assez grande faiblesse pour lui, et au bout de trois mois signer l’ordre de son arrestation était un grand pas, nécessaire, il est vrai, mais extrême, et qui était le signe manifeste d’un entier changement dans le cœur et les relations intimes d’Anne d’Autriche. La dissimulation même qu’elle mit dans cette affaire marque la fermeté réfléchie de sa résolution.

La journée du 2 septembre 1643 est vraiment solennelle dans l’histoire de Mazarin, et nous pourrions dire dans celle de la France, car elle a vu le raffermissement de la royauté, ébranlée par la mort de Richelieu et de Louis XIII, et la ruine du parti des Importans. Ils ne s’en relevèrent qu’au bout de cinq ans, en 1648, à la fronde, où ils reparurent toujours les mêmes, avec les mêmes desseins et la même politique au dedans et au dehors, et, après avoir soulevé de sanglans et stériles orages, vinrent de nouveau se briser contre le génie de Mazarin et l’invincible fidélité d’Anne d’Autriche.

Le 2 septembre au matin, Paris et la cour retentissaient du bruit de l’embuscade tendue la veille à Mazarin entre le Louvre et l’hôtel de Clèves. Les cinq conspirateurs qui, avec Beaufort, y avaient mis la main, à savoir le comte de Beaupuis, Alexandre et Henri de Campion, Brillet et Lié, avaient pris la fuite et s’étaient mis en sûreté. Beaufort et Mme de Chevreuse ne pouvaient les imiter ; fuir, pour eux, c’eût été se dénoncer eux-mêmes. L’intrépide duchesse n’avait donc pas hésité à paraître à la cour, et elle était auprès de la reine dans la soirée, avec une autre personne, étrangère à ces trames ténébreuses et même incapable d’y ajouter foi, une bien différente ennemie de Mazarin, la pieuse et noble Mme de Hautefort. Pour le duc, insouciant et brave, il était allé le matin à la chasse, et à son retour il alla, selon sa coutume, présenter ses hommages à la reine. En entrant au Louvre, il rencontra sa mère, Mme de Vendôme, et sa sœur, la duchesse de Nemours, qui avaient tout le jour accompagné