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leurs services et leurs épées au cardinal, et dans la matinée il se rendit au Louvre escorté de trois cents gentilshommes.

Depuis quelques jours, Mazarin avait compris qu’il lui fallait à tout prix éclaircir la situation, et que le moment était venu de forcer Anne d’Autriche à prendre un parti. L’occasion était décisive. Si le péril qu’il venait de courir, et qui n’était que suspendu sur sa tête, ne suffisait pas à tirer la reine de ses incertitudes, c’est qu’elle ne l’aimait point, et Mazarin savait bien qu’au milieu des dangers qui l’entouraient, sa force était dans l’affection de la reine, et que de là dépendaient et son salut présent et tout son avenir. Aussi, soit politique, soit passion sincère, c’est toujours au cœur d’Anne d’Autriche qu’il s’adressait, et au début de la crise il s’était dit à lui-même : « Si je croyois que la reine se sert de moi par nécessité, sans avoir d’inclination pour ma personne, je ne resterais pas ici trois jours. » Mais, nous l’avons assez fait entendre, Anne d’Autriche aimait Mazarin. Chaque jour, en le comparant à ses rivaux, elle l’appréciait davantage. Elle admirait la justesse et la lucidité de son esprit, sa finesse et sa pénétration, cette puissance de travail qui lui faisait porter le poids du gouvernement avec une aisance merveilleuse, son coup d’œil si sûr, sa profonde prudence et en même temps la judicieuse vigueur de ses résolutions. Elle voyait les affaires de la France partout prospérer entre ses mains fermes et habiles. Le cardinal n’était pour rien, il est vrai, dans l’immortelle bataille qui venait d’inaugurer avec tant d’éclat le nouveau règne ; mais il était pour beaucoup dans les succès qui avaient suivi et montré à l’Europe étonnée que la journée de Rocroy n’était pas un heureux hasard. Quand tout le monde dans le conseil s’était opposé au siège de Thionville, quand M. le Prince lui-même y était contraire, quand Turenne consulté n’osait pas se déclarer, c’est Mazarin qui avait insisté avec une énergie extraordinaire pour qu’on profitât de la victoire de Rocroy et qu’on rapprochât la France du Rhin. La première proposition venait sans doute du jeune vainqueur, mais Mazarin avait eu le mérite de la comprendre, de la soutenir et de la faire triompher. Si jamais premier ministre n’avait été servi par un tel général, jamais aussi général n’avait été servi par un tel ministre, et, grâce à tous les deux, le 11 du mois d’août, pendant que messieurs les Importans mettaient leur génie à faire un indigne affront à la noble sœur du héros qui venait de sauver la France et qui allait l’agrandir, pendant qu’ils déployaient leur éloquence dans les salons ou aiguisaient leurs poignards dans de ténébreux conciliabules, Thionville, alors une des premières places de l’empire, se rendait après une défense opiniâtre ; nous pouvions marcher au secours du maréchal de Guébriant, couvrir l’Alsace, passer le Rhin et aller faire tête à Mercy. La régence d’Anne d’Autriche