Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/1348

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

compagnie. Ces lettres n’étaient que trop claires. On chercha de qui elles pouvaient venir. La duchesse de Montbazon osa les attribuer à Mme de Longueville. Le bruit injurieux se répandit vite. On comprend quelle fut l’indignation de l’hôtel de Condé. Mme la Princesse vint demander hautement justice à la reine : une réparation fut exigée et convenue. La duchesse de Montbazon, forcée d’y consentir, s’exécuta d’assez mauvaise grâce. Quelques jours après, la reine s’étant rendue avec Mme la Princesse au jardin de Renard, à une collation que lui donnait Mme de Chevreuse, Mme de Montbazon s’y était trouvée, et quand la reine l’avait fait prier de prendre quelque prétexte pour se retirer et éviter de se rencontrer avec Mme la Princesse, l’insolente duchesse avait refusé d’obéir. Cette offense, faite à la reine elle-même, ne pouvait demeurer impunie, et Mme de Montbazon reçut l’ordre de quitter la cour et de s’en aller dans une de ses terres près de Rochefort. Les amis et amans de la dame jetèrent les hauts cris ; tout le parti des Importans s’émut, et l’affaire changea de face : de particulière qu’elle était, elle devint générale, comme souvent à la guerre un engagement particulier, une manœuvre précipitée entraîne toute l’armée et détermine une bataille.

Il était difficile de se mettre sur un plus mauvais terrain. D’abord la duchesse de Montbazon était aussi décriée pour ses mœurs et son caractère que célèbre par sa beauté, et elle attaquait une jeune femme qui commençait à peine à paraître et déjà était l’objet de l’admiration universelle, d’une beauté à la fois éblouissante et gracieuse qui la faisait comparer à un ange, d’un esprit merveilleux, du cœur le plus noble, et la personne du monde que les Importans auraient dû le plus ménager, car sa générosité naturelle ne la portait pas du côté de la cour et donnait même quelque ombrage au premier ministre. Mme de Longueville n’était alors occupée que de bel esprit, d’innocente galanterie, et surtout de la gloire de son frère le duc d’Enghien. Il y avait même en elle, il faut l’avouer, quelques germes d’une Importante, que plus tard sut trop bien développer La Rochefoucauld. L’injure qui lui était faite, et dont les honteux motifs étaient visibles, révolta tous les cœurs honnêtes. D’ailleurs tout l’effort de Mme de Chevreuse, le véritable chef du parti, était d’ôter à Mazarin tous ses appuis, et elle excitait contre lui et faisait agir auprès de la reine les dévots et les dévotes ; or Mme de Longueville n’était pas moins l’idole des carmélites et du parti des saints que de l’hôtel de Rambouillet. Enfin le duc d’Enghien, déjà couvert des lauriers de Rocroy et tout prêt à y ajouter ceux de Thionville, était si évidemment l’arbitre de la situation, que Mme de Chevreuse insistait avec force pour qu’on se défit de Mazarin pendant que le jeune duc était occupé au loin, et avant qu’il ne revint de l’armée.