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son frère Beaufort aurait épousé cette aimable et noble mademoiselle d’Epernon qui, déjouant ces desseins et de bien plus grands, se jeta à vingt-quatre ans dans le couvent des Carmélites. Ces mariages, qui auraient rapproché, uni, fortifié tant de grandes maisons médiocrement attachées à la reine et à son ministre, effrayèrent le successeur de Richelieu ; il engagea la reine à les faire échouer sous main, trouvant que c’était déjà bien assez du mariage de la belle mademoiselle de Vendôme avec le brillant et inquiet duc de Nemours.

Quand on suit avec attention le détail des intrigues contraires de Mme de Chevreuse et de Mazarin, on ne sait trop à qui des deux donner le prix de l’habileté, de la sagacité, de l’adresse. Mazarin sut faire assez de sacrifices pour avoir le droit de n’en pas trop faire, ménageant tout le monde, ne désespérant personne, et entourant Mme de Chevreuse elle-même de soins et d’hommages, sans se faire aucune illusion sur ses sentimens. Elle, de son côté, le payait de la même monnaie. La Rochefoucauld dit que dans ces premiers temps Mme de Chevreuse et Mazarin étaient en coquetterie l’un avec l’autre. Mme de Chevreuse, qui avait toujours mêlé la galanterie à la politique, essaya, à ce qu’il paraît, le pouvoir de ses charmes sur le cardinal. Celui-ci ne manquait pas de lui prodiguer les paroles galantes, et « essayoit même quelquefois de lui faire croire qu’elle lui donnoit de l’amour. » Ce sont les propres termes de La Rochefoucauld. D’autres femmes aussi n’auraient pas été fâchées de plaire un peu au premier ministre, entre autres la princesse de Guyméné, la plus grande beauté de la cour de France, et qui n’était pas d’une humeur farouche. Elle et son mari étaient favorables à Mazarin malgré tous les efforts de Mme de Montbazon sa belle-mère et de Mme de Chevreuse sa belle-sœur. On pense bien que Mazarin soignait fort Mme de Guyméné et ne se faisait pas faute de lui adresser mille complimens comme à Mme de Chevreuse, mais il n’allait pas plus loin, et les deux belles dames ne savaient trop que penser de tant de complimens et de tant de réserve. En badinant, elles se demandaient quelquefois à qui des deux il en voulait, et comme il n’avançait pas, tout en continuant ses protestations galantes, « ces dames, dit Mazarin, en concluent que je suis impuissant[1]. »

Ce jeu dura quelque temps, mais le naturel finit par l’emporter sur la politique. Mme de Chevreuse s’impatienta de n’obtenir que des paroles et presque rien de sérieux et d’effectif. Elle avait eu quelque argent pour elle-même, soit en remboursement de celui qu’autrefois elle avait prêté à la reine, ainsi que nous l’avons vu[2], soit pour

  1. IIIe carnet, p. 39 : « Si esamina la mia vita e si conclude elle io sia impotente. »
  2. Voyez la livraison du 1er décembre.