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tête de l’amirauté, passait déjà, malgré sa jeunesse, pour le premier homme de mer de son temps. Mazarin para le coup que lui portait la duchesse à force d’adresse et de patience, ne refusant jamais, éludant toujours, et appelant à son aide le temps, son grand allié, comme il l’appelait. Lui-même, avant le retour de Mme de Chevreuse, il s’était efforcé de gagner les Vendôme et de les mettre dans ses intérêts. À la mort de Richelieu, il avait fort contribué à leur rappel, et depuis il leur avait fait toute sorte d’avances ; mais il avait reconnu assez vite qu’il ne pouvait les satisfaire qu’en se perdant. Le duc César de Vendôme, fils de Henri IV et de la duchesse de Beaufort, avait de bonne heure porté très haut ses prétentions, et s’était montré aussi remuant, aussi factieux qu’un prince légitime. Il avait passé sa vie dans les révoltes et les conspirations, et en 1641 il avait été forcé de s’enfuir en Angleterre sur l’accusation d’avoir tenté d’assassiner Richelieu. Il n’était rentré en France qu’après la mort du cardinal, et, comme on se l’imagine bien, il ne respirait que vengeance. « Il avoit beaucoup d’esprit, dit Mme de Motteville, et c’étoit tout le bien qu’on en disoit. » Contre l’ambition des Vendôme, Mazarin suscita habilement celle des Condé, qui ne souhaitaient pas l’agrandissement d’une maison trop voisine de la leur. Ils se devaient aussi à eux-mêmes de soutenir les Brézé, devenus leurs parens par le mariage de Claire Clémence de Brézé, fille du duc et sœur du jeune et vaillant amiral, avec le duc d’Enghien, en sorte que Mazarin n’eut pas trop de peine à retenir entre des mains fidèles le commandement de la flotte et celui des grandes places maritimes de France ; mais il était bien difficile de conserver la Bretagne à La Meilleraie devant les réclamations d’un fils de Henri IV qui l’avait eue autrefois et la redemandait comme une sorte de propriété de famille. Mazarin se résigna donc à sacrifier La Meilleraie, mais il le fit le moins possible. Il persuada à la reine de s’attribuer à elle-même le gouvernement de Bretagne, et de n’y avoir qu’un lieutenant-général, charge évidemment au-dessous des Vendôme, et qui demeura à La Meilleraie. Celui-ci ne se pouvait offenser d’être le second de la reine, et pour tout arranger et satisfaire entièrement un personnage de cette importance, Mazarin demanda bientôt pour lui le titre de duc que le feu roi lui avait promis, et la survivance de la grande maîtrise de l’artillerie pour son fils, ce même fils auquel un jour il donnera, avec son nom, sa propre nièce, la belle Hortense.

Mazarin était d’autant moins porté à favoriser le duc de Vendôme, qu’il avait alors un rival dangereux auprès de la reine dans son fils cadet, le duc de Beaufort, jeune, brave, ayant tous les dehors de la loyauté et de la chevalerie, et affectant pour Anne d’Autriche un dévouement passionné, qui n’était pas fait pour déplaire. Quelques jours