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pressa donc son retour avec beaucoup d’instance. » Déjà Châteauneuf avait obtenu que la dure prison où il avait gémi dix ans fut changée en une sorte de retraite dans quelqu’une de ses maisons. Mme de Chevreuse demanda la fin de cet exil adouci, et qu’elle pût revoir celui qui avait tant souffert pour la reine et pour elle. Mazarin comprit qu’il fallait céder, mais il ne céda que lentement, n’ayant jamais l’air de repousser lui-même Châteauneuf, et mettant toujours en avant, la nécessité de ménager les Condé, surtout Mme la Princesse, qui, comme nous l’avons dit, haïssait en lui le juge de Henri de Montmorency. Châteauneuf fut donc rappelé, mais avec cette réserve accordée aux dernières volontés du roi, qu’il ne paraîtrait pas à la cour, et se tiendrait à sa maison de Montrouge, où ses amis pourraient le visiter.

Il s’agissait de le porter de là au ministère. Châteauneuf était vieux, mais ni son énergie ni son ambition ne l’avaient abandonné, et Mme de Chevreuse se faisait un point d’honneur de le replacer dans ce poste de garde des sceaux qu’il avait occupé autrefois et perdu pour elle, et que tous les anciens amis de la reine voyaient avec indignation entre les mains d’une des créatures les plus décriées de Richelieu, Pierre Séguier. C’était un très habile homme, laborieux, instruit, plein de ressources, sans aucun caractère, que sa souplesse, jointe à sa capacité, rendait fort commode et utile à un premier ministre. Sa conduite dans le procès de De Thou l’avait rendu odieux. Dans cette même affaire, il avait fait subir un interrogatoire à Monsieur, et auparavant, en 1637, il n’avait pas respecté l’asile de la reine au Val-de-Gràce. Il s’était beaucoup enrichi, et sa fortune avait fait faire à ses filles d’illustres mariages. Un cri s’élevait contre lui, et de toutes parts on demandait son renvoi. Deux choses le sauvèrent. D’abord on ne s’entendait pas sur son successeur. Châteauneuf était le candidat des Importans et de Mme de Chevreuse, mais le président Bailleul, surintendant des finances, convoitait, la place pour lui-même ; l’évêque de Beauvais craignait dans le cabinet un collègue aussi puissant que Châteauneuf, et les Condé le repoussaient. Puis Séguier avait une sœur qui était très chère à la reine, la mère Jeanne, supérieure du couvent des carmélites de Pontoise. Les vertus de la sœur plaidaient en faveur du frère, et Montaigu, tout dévoué à la mère Jeanne, défendit le garde des sceaux.

Mme de Chevreuse, reconnaissant qu’il était à peu près impossible de surmonter une si forte opposition, prit un autre chemin pour arriver au même but ; elle se contenta de demander pour son ami le moindre siège dans le cabinet, sachant bien qu’une fois là, l’habile Châteauneuf saurait bien faire le reste et agrandir sa situation. Le président Bailleul, surintendant des finances, n’ayant pas montré