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LA DUCHESSE


DE CHEVREUSE




DEUXIEME PARTIE


MADAME DE CHEVREUSE ET MAZARIN





I.

Mme de Chevreuse avait alors quarante-trois ans. Sa beauté, éprouvée par les fatigues, se soutenait encore, mais commençait à décliner. Le goût de la galanterie subsistait, mais amorti, et celui des affaires prenait le dessus. Elle avait vu les hommes d’état les plus célèbres de l’Europe ; elle connaissait presque toutes les cours, le fort et le faible des divers gouvernemens, et elle avait acquis une grande expérience. Elle comptait retrouver la reine Anne telle qu’elle l’avait quittée, très disposée à se laisser conduire à ceux pour qui elle avait une affection particulière, et, comme Mme de Chevreuse se croyait la première affection de la reine, elle pensait bien exercer sur elle le double ascendant de l’amitié et de la capacité. Plus ambitieuse pour ses amis que pour elle-même, elle les voyait déjà récompensés de leurs longs sacrifices, remplaçant partout les créatures de Richelieu, et à leur tête, comme premier ministre, celui qui pour elle s’était séparé du cardinal triomphant et avait souffert un emprisonnement de dix années. Elle ne faisait pas grand état de Mazarin, qu’elle ne connaissait pas, qu’elle n’avait jamais vu, et qui lui