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pour ceux dans lesquels il entre plus d’industrie que d’art.

En revanche, la France remonte au premier rang pour ceux qui exigent plus d’art que d’industrie, et s’y élève d’autant plus que l’art y tient plus de place et l’industrie moins. C’est le cas pour les produits si variés de la fabrique de Paris, pour les cuirs et les maroquins de choix, pour la ganterie, pour les tissus de soie et les rubans, pour certains tissus de laine, pour les linges damassés, pour les dentelles, pour les châles, pour les étoiles mixtes, pour le travail des métaux là où les façons importent plus que la matière, pour une infinité de riens qui échappent à une nomenclature, et qu’il serait facile d’y comprendre en les classant d’après la donnée que j’ai indiquée, et qui est presque infaillible dans ses résultats. Voilà notre supériorité réelle, incontestable et incontestée. Maintenant comment et pourquoi l’étend-on outre mesure, et cela sans faire une trop grande violence aux faits ? Par un procédé bien simple. Dans la catégorie des articles où, pour l’étendue du travail et la douceur des prix, l’étranger nous domine, il y a toujours un point où le produit se raffine, et emprunte à l’art un relief plus grand, une tournure, un aspect particulier, qui sont le cachet de la main française, et qu’elle apporte dans tout ce qu’elle fait. C’est à ce point de vue que l’on peut, sans trop abuser des mots, féliciter notre industrie du rang qu’elle occupe, et élargir presque indéfiniment le cercle de sa supériorité.

Il n’y a pourtant là qu’une illusion, et une illusion des plus dangereuses. C’est à l’aide de ces subtilités que depuis quarante ans nous vivons repliés sur nous-mêmes, renfermés dans un cercle d’opérations timides, et n’occupant pas sur les marchés du monde la place qui devrait appartenir à un état comme le nôtre, et qu’avec la moindre hardiesse nous nous y serions assurée. Bien des causes concourent à cet égarement de l’opinion, et la moindre n’est pas cet appel fait à notre vanité par des hommes qui en abusent et dont elle sert les intérêts. Au besoin et à l’appui, les chiffres ne manquent pas ; ils sont les serviteurs de toutes les causes. Rien de plus aisé que d’en faire ressortir d’une année à l’autre, et sur quelques articles choisis avec soin, le mouvement et la progression. Les petites ruses de la statistique viennent alors en aide aux éblouissemens de l’amour-propre, et c’est ainsi que se perpétuent des malentendus si préjudiciables à la communauté.

Au lieu de ces demi-preuves, que ne consulte-t-on les grands témoignages et les grands résultats ? Ils abondent, ils frappent les yeux des moins clairvoyans. Dans l’ensemble des exportations, quel est notre rôle, quel est celui des pays étrangers ? On peut vérifier ; nous sommes à l’Angleterre comme un est à six, au reste de l’Europe comme un est à quatre. Pour le mouvement de la navigation, notre