Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/1315

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et de coup d’œil, n’en sont pas moins d’un très bon service ; mais en revanche, pour les qualités de choix, les draps supérieurs, l’avantage nous demeure. Il y aurait beaucoup à dire sur ce contraste, qui tient moins à une impuissance intrinsèque qu’à un régime défectueux ; le sujet exigerait trop de développement. Toujours est-il qu’en matière de draperie économique, les honneurs de l’exposition ont été pour l’Allemagne ou plutôt pour la Moravie. Brunn a montré des coupons à 5 francs le mètre, qui ont fait l’étonnement des gens du métier ; il est vrai que Brunn a sous la main les plus belles toisons du monde et à des prix qui lui permettent d’être discrète. Pour être juste, il faut ajouter que nous avons eu notre surprise, comme les Allemands ; Vire s’est révélée sous un nouveau jour et a exposé des draps entre 13 et 9 francs le mètre, dont la confection et l’aspect doivent donner à réfléchir aux villes du Languedoc, un peu engourdies dans leur fabrication.

Un mot sur les châles cachemires. S’il y a une industrie nationale, c’est celle-là. Depuis que nous nous sommes attaqués à l’Inde, avec la prétention de la vaincre à force d’industrie et d’art, plus d’un pas a été fait. L’Inde marche aussi, et ce pays de l’immobilité s’est ému de cette concurrence lointaine. La partie est donc liée, et c’est profit pour tout le monde. Pour s’en convaincre, les élémens ne manquent pas. Il existe encore, et sur plus d’une épaule, de ces châles qui datent de la restauration et de l’empire ; qu’on les rapproche des beaux châles d’aujourd’hui : quelle distance pour le tissu, pour la douceur des tons, la variété des couleurs, l’élégance du dessin ! Et pourtant, si évident, si incontestable que soit le progrès, on est encore loin des produits de l’Inde ! Il existe en Asie un procédé qu’on nomme en termes techniques le spouliné, et qui consiste en une espèce de broderie au fuseau, où l’on n’emploie la matière qu’aux points même où elle doit apparaître. Or c’est le spoulinage mécanique que l’on cherche, afin de n’avoir plus rien à envier aux Indiens. On ajoute qu’il est trouvé et pratiqué avec succès par quelques-uns de nos fabricans, M. Gaussen, M. Deneirousse, de sorte qu’à l’heure qu’il est, l’Inde n’aurait plus qu’à désarmer. Soit, mais il ne semble pas néanmoins qu’elle s’y résigne, et on pouvait voir à l’exposition des châles de Lahore qui faisaient une assez bonne contenance devant la légion rivale, réunie à l’autre extrémité du palais. Les châles français avaient pour eux le nombre et l’ordre de bataille ; ils étaient sur leur propre terrain, et pourtant je n’oserais pas assurer que la victoire leur soit restée. Ces châles de l’Inde sont de terribles enchanteurs ; ils plaisent même par leurs défauts ; ils ont pour eux l’oreille des femmes ; espérons qu’elle leur sera enlevée, aux applaudissemens des maris. Alors seulement les châles de l’Inde seront vaincus.