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devenaient nécessaires. Rien là qui soit arbitraire ni inopportun ; c’était dans la force des choses et dans l’ordre des temps. Le travail automatique, la création des grands ateliers, l’asservissement de la vapeur, l’analyse plus savante des propriétés des corps et l’appréciation plus exacte de leurs conditions industrielles étaient la conséquence de cette consommation agrandie qui se manifeste non-seulement sur nos marchés, mais sur tous les points du globe où le génie de l’Europe pénètre et qu’il initie aux bienfaits de notre civilisation.

On se tromperait d’ailleurs si l’on croyait qu’un essor de l’industrie, comme celui auquel nous assistons, est un phénomène susceptible de se prolonger, et contenant en germe, des empiétemens indéfinis. Ainsi que les conquêtes de la pensée, celles du monde matériel ont leurs fluctuations, leurs temps d’arrêt, leurs momens d’éclat et leurs éclipses. Il est dans l’essence de l’activité humaine de changer de voies et de varier son effort ; l’histoire en fournit plus d’une preuve. Au XVIe siècle, il y eut un élan presque aussi prodigieux que le mouvement contemporain, et qui ne survécut guère aux hommes illustres qui y présidèrent. Coup sur coup on découvrit alors la boussole, l’astrolabe, la grande navigation, l’astronomie positive, le Nouveau-Monde, et les noms de Galilée, de Colomb, de Martin Behaim, de Vasco de Gama, d’Albuquerque et de Magellan marquèrent cette époque d’une empreinte qui ne s’est point effacée. Paracelse renouvela la chimie, Vesale l’anatomie ; il y eut dans les sciences et dans les arts une sorte d’épanouissement et la révélation de forces ignorées. Ces découvertes ressemblaient beaucoup à celles qui frappent nos regards ; on s’emparait victorieusement du globe, on rendait la matière tributaire des besoins et des jouissances de l’homme, on étendait le cercle d’action des races civilisées et leur empire sur le monde sensible. C’était là pour les travaux de la pensée autant d’avant-coureurs ; à leur tour, ces derniers allaient prendre le dessus et dominer pendant le cours des siècles suivans. Ainsi marche l’esprit humain par des élans, tantôt divergens, tantôt parallèles, dans la sphère des idées ou dans celle des faits. Au lieu de se nuire, ces deux poursuites se prêtent un mutuel appui et se complètent en se succédant. Ces considérations ne sont pas étrangères à un examen de l’exposition de 1855 : dès qu’il s’agit de l’industrie, il convenait d’en rétablir les droits et d’en définir le rôle. On a beaucoup écrit pour et contre les expositions, et la matière n’est pas épuisée. Quoi de plus naturel que d’appeler de temps à autre l’industrie à fournir la mesure de ses forces et d’en rassembler les produits dans une même enceinte de manière à présenter des termes de comparaison ? Seulement, pour que l’institution eût toute son efficacité, deux conditions