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s’emportent moyennant un florin dans des chariots qui les conduisent à la ville. On s’en sert surtout pour cuire le pain. Les paysans de l’Overyssel emploient même ces couches de mousse et de gazon flétri en guise de chaume pour la couverture des toits. Rien n’est perdu ; mais quelle distance entre cette économie sauvage et les richesses que va développer sous nos yeux la culture ! Enfin le Dedemsvaart parut. Le Dedemsvaart est un canal, ni plus ni moins. Le créateur de ce canal, M. van Dedem, est mort il y a quelques années, pauvre, chagrin, méconnu par l’injustice des hommes. Il assistait en silence à l’enfantement d’un monde agricole dont il avait ouvert le chemin. Son sort est celui de tous les initiateurs. Heureux qu’il y eut encore un cœur pour l’apprécier, une main pour serrer sa main, il s’asseyait fier et consterné au foyer de ses rares amis. La vérité est que le Dedemsvaart a été une œuvre utile, excellente, non pour l’entrepreneur, hélas ! mais pour les colonies voisines qui sont aujourd’hui sorties du désert. Le chemin d’eau a déterminé la circulation de la tourbe, des engrais et des produits créés par l’industrie rurale.

Au Hoogezand et au Sappemeer, on peut voir d’anciennes colonies, créées par les hommes du XVIIe siècle ; Avereest est une colonie naissante, ouvrage des hommes de notre temps. On montrait encore, il y a quelques années, le seul arbre qui existait autrefois dans ces anciennes bruyères. C’était, je crois, un bouleau. Cet arbre a disparu ; mais de riches prairies avec des bouquets de verdure, des vergers, des plantations nouvelles, s’élèvent comme par enchantement de tous les côtés, des campagnes se forment. La nature, chrysalide féconde, se dépouille chaque jour de sa larve inculte et montre avec orgueil une figure embellie par l’art. L’artère vitale de toute cette prospérité agricole, c’est le Dedemsvaart. Dans ce canal principal se déchargent et viennent s’embrancher, au fur et à mesure des défrichemens, une multitude d’autres petits canaux qui aboutissent aux tourbières. L’eau vivifie tout sur son passage. Le long des rives, les prairies sortent de l’antique bruyère, les troupeaux naissent, les habitations s’élèvent. Les canaux tracent le développement de toute cette prospérité agricole, comme dans la formation embryonnaire du corps humain les vaisseaux sanguins tracent le développement physiologique des organes. Nous visitâmes une ferme dont dépendent trois cents hectares de terres cultivées, et dans laquelle quatre-vingt-dix vaches, quarante cochons jouissaient tranquillement de la vie. Les étables, les écuries, les instrumens de travail, tout annonçait une véritable opulence rustique. Quand on songe que cette opulence date d’hier, on reconnaît avec attendrissement ce que peut l’industrie humaine. Il y a vingt ou vingt-cinq ans, on ne voyait guère dans la colonie