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fleur se lèvent au milieu des steppes ; en automne, des chariots couverts de grains s’avancent le long des routes peu frayées. On oublie alors les fumées odieuses que celle culture répand aux mois de mai et de juin pour se souvenir uniquement des fruits. Quand le sarrazin est enlevé, les moutons viennent.sur la tourbière, où ils se tiennent même durant la nuit, et puis c’est la fête des oies : ces glaneuses cherchent d’un bec avide les grains de sarrazin perdus. La deuxième année donne une récolte meilleure que la première ; la troisième année surpasse la seconde ; mais alors les autres récoltes vont en déclinant. Après dix ans, la culture est épuisée. Il faut une période de vingt à vingt-cinq années de repos avant qu’on puisse brûler de nouveau la terre.

Le feu et la culture du blé noir n’usent que la croûte superficielle de la tourbière : plus tard le propriétaire est libre d’ouvrir la veine de la tourbe proprement dite ; quand cette veine est épuisée, il retrouve la terre arable. On a de la peine à se figurer la richesse des tourbières de la Drenthe. Seulement la canalisation est la base de l’industrie qui s’attaque au combustible. Or, comme jusqu’ici les canaux manquent, les tourbières hautes ne constituent encore, dans la plus grande partie de ce district, qu’un vaste capital dormant Nous avons pourtant parcouru en barque d’Asson à Meppel un long canal qui a déjà répandu la vie sur ces campagnes silencieuses. Chaque jour, la masse de tourbe se démasque et laisse apparaître des cultures.

Les mœurs des ouvriers qui travaillent dans les tourbières se rapprochent à quelques égards de la vie des ouvriers mineurs. On les accuse de dissiper follement ce qu’ils gagnent[1]. Ce manque de prévoyance contraste trop avec le caractère général des Hollandais pour que nous n’en recherchions pas l’origine. L’esprit d’économie, qui forme la base du tempérament batave, est dû d’ordinaire à l’influence de la femme et au rang qu’elle occupe dans la maison. Ici au contraire la femme participe aux travaux de l’homme, au même genre de vie ; elle perd dans les tourbières une partie des qualités délicates de son sexe. Ouvrier comme lui, elle cesse d’être la prévoyance assise au seuil du foyer. Il existait autrefois dans la Drenthe, comme dans d’autres localités des Provinces-Unies, un usage barbare : nous voulons parler des combats au couteau. On ne voyait presque point de fêtes de village où il n’y eût des blessures, souvent même des morts à déplorer. Les héros de ces rixes sanglantes s’enorgueillissaient même de leurs exploits. Les traces que de telles

  1. Les travaux d’extraction durent seulement douze ou quatorze semaines par année. Les bons ouvriers qui travaillent la tourbe gagnent de 9 à 10 florins par semaine. Quelques-uns viennent de la Westphalie ; les autres appartiennent à la province de Drenthe.