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terrible, formé probablement par l’eau des pluies qui s’était ménagé elle-même un écoulement dans un bassin profond. Nulles habitations, point d’hommes ni de bétail ; il n’y avait que des oiseaux aquatiques et des bêtes fauves. Tout cela avait un aspect fantastique et de mauvais augure. L’eau bouillonnait dans le lac avec bruit ; aussi le nommait-on le lac du diable. Les loups étaient si nombreux, qu’en 1223, dit un chroniqueur, ils déchiraient les vivans et déterraient même les cadavres. Le coassement des grenouilles, mêlé aux hurlemens de ces loups allâmes, aux plaintes du daim, aux cris lamentables du renard, avait jeté l’épouvante autour de ces lieux abandonnés. Pendant des siècles, une tranquillité morne ne cessa de régner le long des bords du lac. À ce grand isolement succéda enfin le travail de l’homme. Après de longues contestations sur la propriété du sol, la ville de Groningue, devenue maîtresse des terrains voisins du lac, les céda par parcelles à des colons. Elle fit creuser des canaux qui traversaient les marécages et le lac lui-même. Par ces canaux, dirigés avec art, on écoula les eaux dans le Zijpe et dans d’autres rivières de la province. Le 26 mars 1628, le premier bâtiment chargé de tourbe passa par le grand canal, et peu de jours après la première voiture chargée du même combustible s’avançait par le chemin construit le long de la voie d’eau. On avait commencé par bâtir des maisonnettes bien pauvres dans ces champs stériles, bientôt les percemens et les exploitations se succédèrent. La tourbe ne cessait de verser des trésors sur cette contrée éloignée des Provinces-Unies. De belles maisons de campagne remplacèrent les cabanes et les marais. Chaque tourbière épuisée se transforma en un terrain de culture, qui se couvrit d’abord de seigle, de sarrazin, d’avoine, et plus tard de pommes de terre[1]. Les constructions et les défrichemens avançaient toujours, mais non sans rencontrer plus d’un obstacle. À plusieurs reprises, les travaux furent suspendus. Après chaque repos forcé, les colons disaient avec un sang-froid tout batave : « Nous allons recommencer, » et ils continuaient de rendre la vie à un sol inculte. À une époque où l’argent était rare, où l’homme manquait des machines dont il dispose aujourd’hui pour multiplier la force de ses bras, on a lieu de s’étonner du succès de celle entreprise. Les hommes du XVIIe siècle avaient deux grandes qualités : la constance et le dévouement.

  1. Pour encourager la culture, la ville de Groningue avait cédé ces terrains à des conditions très douces. Les fermiers pouvaient jouir pendant huit années du sol gratuitement ; alors seulement ils payaient un prix de louage peu élevé et fixé par des prud’hommes. Ils avaient on outre la liberté de prendre, pendant dix ans, les boues et les immondices de la ville. De cette source impure est sortie la prospérité agricole du Hoogezand et du Sappemeer.