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qui ne se soient emparées de la tourbe pour voir dans la transformation de cette terre en une substance lumineuse et ignée une image de l’homme mortel, qui doit revêtir par l’immortalité une nature nouvelle, un éclat nouveau, et qui deviendra ainsi toute clarté, toute gloire, tout amour. La tourbe a fait en partie les Pays-Bas ; mais le rapport entre la présence de cette matière combustible et les mœurs des différentes provinces, l’état de prospérité des habitans, le développement de l’agriculture et de l’industrie, les habitudes de la vie privée, doit être maintenant étudié sur le théâtre même des faits géographiques. La terre néerlandaise est pour ainsi dire l’antique vestale qui a entretenu de ses propres mains le feu matériel et le feu sacré de la civilisation.


III

Les provinces qui doivent le plus à l’existence des tourbières sont la Frise, la Groningue, la Drenthe, l’Overyssel.

La Frise est aujourd’hui un district privilégié. Elle se défend contre la mer par un triple rang de pilotis qui entourent toutes les côtes. Chacun de ces pieux enfoncés en terre revient à sept florins. Ces ouvrages de bois sont en outre soutenus par des quartiers de roches, d’énormes morceaux de granit, de basalte, de trachyte, qui ont été apportés de la Norvège ou de l’Allemagne. Quand on songe que cette formidable défense s’étend sur un rayon de vingt-deux lieues, et qu’elle brise l’effort de l’Océan appuyé tout entier aux flancs de la province, on se demande quelles richesses il a fallu trouver dans le sol pour se défendre contre un pareil ennemi. Autrefois la mer était à Leeuwarden, la capitale actuelle de la Frise. Les magnifiques campagnes qui entourent la ville sont des terrains gagnés sur les vagues. Ces terrains ne datent que de trois cents ans. Il existe une carte du XVIe siècle sur laquelle ce bras de mer est figuré et porte le nom de mer du milieu. Les anciennes digues élevées l’une après l’autre contre l’ennemi intérieur sont restées et indiquent encore les progrès successifs de la conquête sur les eaux. Cette mer frisonne a décru en raison du Zuiderzée qui s’accroissait. Un océan d’herbe, véritable paradis des vaches, remplace aujourd’hui un océan d’eau qui s’est retiré de l’argile, de la tourbe, du sable, c’est tout le sol de la province. Des fermes, des métairies, sorte de palais rustiques, donnent au voyageur une idée de l’état prospère de l’agriculture. De jolis villages s’épanouissent dans un bouquet d’arbres et s’élèvent de distance en distance sur des collines faites de main d’homme, terpen. Les premiers habitans ont construit ces tertres pour se prémunir contre les eaux dans un temps où le pays n’était pas encore