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pontes longi, que les Romains jetaient sur leur passage pour traverser les forêts. Nous avons vu au musée de Zwol une planche grossière qui avait été détachée du pont de Valthe ; on reconnaissait encore la place des clous qui avaient fixé cette planche à une bande de bois. Ce monument de l’art stratégique des Romains nous fournit de nouveaux indices sur l’ancienne géographie de ces contrées. Les troncs d’arbres nécessaires à de tels ouvrages n’ont pu être apportés de loin : ils ont été très certainement pris sur place. Le pays était donc alors couvert de forêts, qui versaient, comme dit Pline, l’ombre sur le froid.

Les rapports des tourbières avec l’histoire deviendraient encore bien plus intéressans, s’il était possible d’évaluer l’âge de la tourbe. Comme ce terrain de formation récente contient des vestiges d’art, comme il s’est développé depuis l’apparition de l’homme, on aurait là un art de vérifier les dates qui laisserait bien loin en arrière les recherches des plus savans bénédictins. Malheureusement ce moyen de mesurer le temps est resté jusqu’ici incertain et vague. On croit que dans les tourbières basses il faut cinquante ans pour former deux mètres de tourbe ; on ne sait rien sur la croissance des tourbières hautes, sinon que ces dernières paraissent se former de la destruction des forêts dans une période de temps relativement courte. La science ne désespère pourtant pas de découvrir les lois de cette croissance mystérieuse, et nous avons dû indiquer la source de lumières que l’étude des terrains récens peut verser plus tard sur la chronologie historique[1]. Il nous suffira de même de laisser entrevoir les conséquences de cette étude sur la philosophie des sciences. La formation de la tourbe et des terrains d’alluvion relie les temps anciens aux temps nouveaux de la nature. L’œil étonné saisit alors dans l’unité du globe terrestre les traces d’une création qui commence et qui ne finit nulle part La ligue des terrains diluviens a longtemps passé pour une limite entre deux systèmes séparés par une catastrophe ; mais aujourd’hui cette barrière s’efface, le géologue entrevoit les rapports de continuité qui rattachent les mondes au-delà des mondes. « Je pense, donc je suis, » dit l’homme. « Je crée, donc je suis, » dit Dieu. Et ce sont les traces de cette création incessante que la science découvre à chaque pas dans les tourbières. Les phénomènes qui ont formé et englouti les anciens

  1. Dans les dunes de la Hollande, sous une épaisse couverture de sable, ou trouve de la tourbe, sous la tombe une argile mêlée de gravier. Eh bien, c’est dans cette dernière couche, située quelquefois à une profondeur considérable, que se rencontrent surtout les objets d’art. Ou il faut reculer singulièrement la limite des temps historiques, ou il faut supposer à certains agens de la nature une puissance de formation bien active pour avoir ainsi élevé des terrains sur des terrains depuis l’établissement de l’homme dans ces régions.