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naturels perdus, et auxquels ont succédé des pins étrangers, indiquent à eux seuls d’assez grands changemens survenus dans la géographie botanique des Pays-Bas depuis les dernières révolutions du globe[1]. On est également surpris de ramasser au fond des tourbières basses une énorme quantité de noisettes. Or les noisetiers ne croissent plus maintenant que sur des terres sablonneuses et au bord des eaux vives. Les géologues se sont donné la consolation de dire que ces noisettes avaient été apportées par des courans dans le lit marécageux des tourbières ; mais l’explication, si ingénieuse qu’elle soit, n’enlève rien à la gravité du fait. Les problèmes qui se rattachent aux changemens du règne animal depuis les temps historiques ne méritent pas moins de fixer notre attention. Ces forêts, berceaux des tourbières hautes, ont été peuplées ; ces marais, qui ont donné naissance aux tourbières basses, ont eu leurs habitans ; la vie, sous des formes qu’il serait curieux d’étudier et de comparer aux formes actuelles, a jadis animé ces milieux sauvages. Malheureusement les débris organiques retrouvés dans l’intérieur des tourbières sont rares. Soit que la composition chimique de cette matière acide n’ait point été favorable à la conservation des ossemens enfouis, soit que l’instinct des animaux leur ait fait éviter ces champs mobiles, tombeaux de la végétation et de la vie, on constate avec regret que la faune des tourbières est assez généralement pauvre. En Hollande, on a pourtant trouvé entre la couche d’argile et la tourbe des cornes de bœufs et de formidables bois de cerfs. Aux environs de La Haye, j’ai déterré moi-même dans une tourbière des dunes une mâchoire de ruminant. Les naturalistes n’ont pu encore découvrir aucune différence entre ces animaux de la période historique et ceux qui vivent maintenant à la surface du globe. Quelques espèces anciennes se distinguent seules des espèces domestiques actuelles de la Néerlande par des caractères intéressons. Nous avons vu à Assen une corne de bœuf qui avait été trouvée dans une tourbière haute. Aucune des races bovines qui existent aujourd’hui dans les Pays-Bas n’a les cornes dirigées selon le système de cet ancien habitant de la Batavie. Beaucoup d’animaux, autrefois indigènes, sont aujourd’hui étrangers au sol. Le castor a été commun en Hollande ; au moyen âge, il se retrouvait encore dans la Haute-Allemagne ; il a aujourd’hui disparu de ces deux contrées[2]. On cite l’endroit où furent tués il y a un

  1. Le même fait se reproduit ailleurs. En Danemark, il n’y a plus aujourd’hui ni pins, ni chênes, il n’y a que des bois de hêtres, et l’on retrouve dans les tourbières du Danemark une multitude de pins et de chênes qui ont autrefois végété sur place.
  2. J’ai vu à Zwol, dans un musée national d’histoire naturelle fondé par les soins d’un membre des états-généraux, M. Sloet tot Oldhuis, un castor qui fut tué en 1825 à la suite du déluge marin qui couvrit une partie des Pays-Bas. Cet exemplaire figurait là comme mémoire ; il rappelait l’existence des castors sur une terre où leurs traces sont aujourd’hui perdues.