Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/1246

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de formation, que la mer rejette de son lit. Dans la Manche, entre Boulogne et Douvres, il existe un banc de tourbe connue sous le nom de tourbe bocagère, qui passe pour être formée de noisetiers. Près de l’île de Texel, il est un bois sous-marin, composé de grands arbres et dans les branches desquels les pêcheurs embarrassent quelquefois leurs filets. Tous ces faits démontrent assez que dans le temps où les anciennes dunes de la Hollande, de la Belgique et du nord de la France ont été forcées, la Mer du Nord a enlevé d’énormes fragmens de tourbe mêlée à des débris de forêts, des îles entières qui, battues par les tempêtes, englouties, reposent, maintenant au fond des eaux. La nature flottante et inconsistante de la matière tourbeuse s’est prêtée merveilleusement à de telles catastrophes. Sur les côtes où la mer rencontre de l’argile ou du sable, elle avance malgré le sol qui résiste, mais elle avance lentement. Dans les endroits au contraire où s’étendent des champs formés de glèbes végétales, l’explosion des eaux peut être subite. La tradition, d’accord avec l’expérience scientifique, veut que le lit actuel du Zuiderzée ait été occupé autrefois par d’anciennes tourbières que la fureur des vagues a brisées, soulevées, ensevelies : il est certain que de gros morceaux de tombe roulée sont apportés tous les jours sur les côtes de la Frise par les eaux du golfe. Enfin l’action de la mer n’a pas seulement détruit ces champs de matière bitumineuse, elle en a formé. Il existe une tourbière faite avec des plantes marines et qu’on peut regarder comme un ouvrage de l’Océan[1].

L’origine des tourbières est maintenant connue. Il est temps de nous demander quels enseignemens les naturalistes et les archéologues peuvent tirer des corps étrangers qui se rencontrent dans ces terrains de formation récente. Les objets trouvés dans la tourbe appartiennent soit au règne végétal, soit au règne animal, soit à l’industrie humaine. Une des particularités qui étonnent dans la flore des tourbières, c’est la présence des pins. Les pins croissent aujourd’hui dans la Drenthe et dans diverses provinces des Pays-Bas ; mais ces arbres vivans ne sont pas les enfans spontanés du sol. Ils ont été introduits dans la Néerlande il y a environ deux siècles, et encore dans les commencemens ces arbres importés à grands frais ne s’y plaisaient point. On pourrait dire qu’ils avaient oublié leur climat natal, car une période assez longue s’écoula, durant laquelle la Néerlande, autrefois peuplée de pins qui croissaient en grande abondance (les tourbières hautes l’attestent), se trouva entièrement privée de cette verdure qui a été aujourd’hui ramenée par la main de l’homme. Ces pins

  1. Les sables, en s’accumulant, étouffent la végétation et la convertissent en tourbe. L’altération des matières ligneuses est même d’autant plus avancée, qu’elles ont été plus longtemps recouvertes d’une couche sablonneuse ou argileuse.