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C’est dans ces faits ordinaires et bien connus des Hollandais qu’il faut chercher l’explication des phénomènes géologiques. On a observé que la tête des arbres couchés au fond des tourbières était le plus souvent tournée entre le sud et l’est. Cette circonstance indique assez qu’ils ont été renversés par la tempête du nord-ouest. C’est en effet celle qui sévit le plus ordinairement en Hollande, et qui cause le plus de dégâts. Une telle direction n’est pourtant pas constante. On trouve sur ces troncs, ainsi étendus, d’autres troncs couchés dans une direction opposée et qui s’entrecroisent. Ces arbres, renversés par les vents souillant des divers points cardinaux, ont formé la base, le lit, ou, pour mieux dire encore, le plancher de la tourbière haute[1]. On se demande si ces arbres engloutis se sont incorporés à la tourbe. L’expérience indique qu’il n’en a point été ainsi, puisqu’on les retrouve intacts et parfaitement conservés. C’est tout au plus si les racines et les feuilles ont pu, dans certains cas, se convertir en matière tourbeuse. Cette intervention n’a d’ailleurs été qu’accidentelle et tout à fait secondaire. La substance tourbeuse a été fournie presque entièrement par la décomposition des bruyères et des mousses. Il ne faut donc point confondre les rôles des deux systèmes de végétation. Les forêts ont enveloppé, protégé la génération de la tourbe ; elles ne l’ont pas créée.

Si les bois ont favorisé indirectement la croissance des tourbières hautes, le milieu dans lequel se sont constituées et développées les tourbières basses, c’est l’eau. L’existence de lacs intérieurs qui couvraient le sol dans les temps anciens n’est pas moins proclamée que celle des forêts par les monumens géographiques. Moer, dans le langage de certains paysans néerlandais, indique à la fois une mère et un marais. La tradition veut en effet que la Néerlande soit fille d’une flaque d’eau. Celle origine est attestée par l’histoire et par la vue du pays. Les géographes latins qui ont parlé de la Hollande actuelle doutaient si cette contrée était une terre ou un marais. La vie végétale n’a pas manqué alors de s’emparer de ces eaux immobiles. Les plantes

  1. Les troncs qu’on retrouve au fond de la tourbe ne se sont d’ailleurs pas écroulés tous en même temps et sous le coup d’une catastrophe unique. Chaque arbre qui mourait durant le cours des siècles tombait dans la tourbière, et en vertu des seules lois de la pesanteur gagnait peu à peu le fond de cette terre molle et marécageuse. Là il trouvait sur le sable son centre de gravité, et contribuait à augmenter de ses débris la masse des végétaux à l’état de décomposition. Dans le bois de Driesehigt, on calcule qu’il suffit d’une année pour que les arbres disparaissent dans la terre tourbeuse et pour qu’ils arrivent au sol inférieur.