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justifie l’idée des anciens peuples qui avaient placé dans les forêts de la Gaule et de la Germanie le seul culte digne de la Divinité.

L’histoire naturelle de cette métamorphose mérite qu’on s’y arrête. Quelques botanistes ont remarqué dans ces derniers temps un rapport entre certains grands arbres et certaines plantes basses qui croissent à fleur de terre. L’antagonisme entre ces deux systèmes de végétation ne tarde point à se déclarer. Avec le temps, les bruyères et les mousses dévorent la forêt ; le hêtre est vaincu par le brin d’herbe. La formation naturelle de la tourbe est liée à ce développement continu des bruyères et des mousses. Ces plantes meurent chaque année ; mais en mourant elles déposent, s’il est permis de s’exprimer ainsi, leur vengeance sur le sol : Le mécanisme en vertu duquel la matière végétale acquiert les propriétés de la tourbe est remarquablement simple et ingénieux. Des extrémités inférieures de la tige se détachent chaque année des pousses qui meurent, et dont la chute donne naissance à un terreau particulier, cette couche, formée de détritus végétaux, s’élève lentement, tandis que la mousse continue de croître par la tête. Le temps développe peu à peu ces inépuisables fécondités de la vie et la mort. Les générations végétales s’entassent ainsi sur les générations, les dépouilles sur les dépouilles. La forêt, moitié bois, moitié tourbière, présente alors l’image de ces hypogées d’Égypte, dans lesquelles les vivans croissaient sur les morts. Les grands arbres enfoncent leurs racines dans ces sombres galeries où dorment les ancêtres de la végétation accumulée par couches. Cette période de croissance de la tourbe marque de plus en plus la période de décroissance du bois. La tourbière, entée sur la forêt comme le gui sur le chêne, la ronge sourdement. Etouffés par les bruyères et les mousses qui pullulent à leurs pieds, minés par la tourbe qu’ils enrichissent chaque jour de leurs mines, les grands arbres tombent. Quand les arbres ont disparu, ces bruyères et ces mousses continuent à la surface des tourbières le travail lent et silencieux de décomposition qui doit accroître sans cesse la masse du combustible. Au milieu de ces champs vides, arva vacua, d’où les habitans primitifs, c’est-à-dire les chênes, les hêtres, les pins, se sont successivement effacés, on éprouve un sentiment indéfinissable. La pensée s’élève à la vue du système économique de la nature, qui fait tout contribuer à l’utilité de l’homme, tout jusqu’au tressaillement du brin d’herbe que le vent détache de la tige et qui tombe précieusement dans les ténèbres de la tourbière.

Quand même le bois de Drieschigt ne serait pas là pour trahir le secret de la nature, l’influence des anciennes forêts sur la formation de la tourbe nous serait encore attestée par la multitude d’arbres qu’on trouve tous les jours au fond des tourbières hautes. Dans