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combustible, disposés en forme de pyramide. Ces tourbes se gonflent sous l’eau et forment ainsi une base inébranlable que l’humidité ne détruit point. Après des siècles, lorsque la maison est tombée de vieillesse, on retrouve la substance tourbeuse aussi bien conservée que le premier jour, et encore propre au chauffage. On ne sait pas assez tout ce que la Néerlande doit à ce présent de la nature. Parmi les services que la tourbe a rendus aux Hollandais, il en est un que ne doit point oublier l’histoire. La ville de Bréda était occupée par les Espagnols. Un Hollandais nommé Van Bergen, et qui avait pour industrie de conduire des tourbes sur l’eau, courut le hardi projet de délivrer la ville. Il communiqua son plan à un chef militaire qui l’appuya. La tourbe est patriotique ; elle fait partie de cette vieille terre néerlandaise dont les entrailles s’étaient pour ainsi dire soulevées contre la domination étrangère. En cette qualité, elle devait protéger une ruse de guerre qui se proposait d’assurer l’indépendance nationale. Le 4 mars 1590, les Espagnols, voyant venir un bateau chargé de munitions contre l’hiver, le reçurent avec joie. Comme le port était couvert d’une légère croûte de glace, ils tirèrent eux-mêmes le bateau et aidèrent à l’introduire dans la citadelle. Ce bateau n’était ni plus ni moins qu’un second cheval de Troie. Vers le milieu de la nuit, il accoucha de quatre-vingt-dix hommes braves et entreprenans, qui, cachés jusque-la sous la cargaison de tourbe, sortirent à la faveur des ténèbres ; ils surprirent l’ennemi, le taillèrent en pièces, et rendirent la ville de Bréda au prince Maurice.

La matière extraite des tourbières de la Hollande s’était prêtée depuis des siècles à différens usages industriels et domestiques ; le feu de tourbe avait éclairé et réchauffé, pendant les nuits d’hiver, les méditations des poètes, les joies du premier amour, les travaux de la famille, avant qu’on connût au juste la nature du présent qui a été fait dans la nuit des âges au sol de la Néerlande. Le moment est venu de nous adresser à nous-même cette question : Qu’est-ce que la tourbe ? D’où vient-elle ? Quelle est l’origine de cette terre qu’on brûle ? il faut recourir aux lumières de la science, si l’on veut pénétrer le mystère de cette formation. L’étude des circonstances au milieu desquelles est née la tourbe se lie à l’antique géographie de la Hollande, dont les principaux traits ne peuvent être suffisamment connus que par l’examen des tourbières. Si cette ancienne constitution du sol s’est effacée, les rapports entre l’état primitif des choses et la richesse industrielle du pays demeurent et demeureront encore longtemps visibles.