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morceaux de tourbe ont enfin acquis le degré de sécheresse nécessaire, on les rassemble en gros tas cariés ou ronds, qu’on recouvre de joncs, de loin ou de paille, pour les défendre de la pluie et de la gelée. On les recueille aussi dans des granges, sur des lattes ou des planches disposées de telle façon que le vent puisse y circuler de toutes parts. La tourbe ne sort plus de ces granges que pour être transportée au marché dans de longues barques qui ont un mal très haut et une grande voile.

Quand toute la tourbe est extraite, on trouve au fond de la tourbière des arbres qui appartiennent généralement à la famille des pins. J’ai eu occasion de voir moi-même des tas de bois qui avaient été ainsi enfouis sous la couche, et dont la substance n’était presque point altérée. Les branches résineuses de ces pins servent comme de flambeau pour éclairer les nuits d’hiver. On déterre quelquefois des troncs énormes légèrement noircis, et qui peuvent encore être employés aux usages industriels. C’est aussi le moment de dire un mot d’une substance légère, poreuse, feuilletée, qui sert de toit à la couche de tourbe et qui avait été rejetée d’abord par les ouvriers comme impropre au chauffage. Cette croûte supérieure va maintenant jouer un rôle ; mêlée à du sable, elle va devenir la base de la terre labourable sur laquelle on sèmera des pommes de terre ou du blé. Il est intéressant de voir ainsi à côté des tourbières en exploitation des tourbières récemment exploitées, et qui se trouvent aussitôt converties en un champ fertile.

Un des dangers qu’on court dans l’extraction de la tourbe, c’est de mettre le feu aux tourbières. Sur le chantier de travail, on entretient généralement des charbons allumés pour les usages domestiques[1]. Ces charbons incandescens peuvent devenir la cause de grands malheurs. Non-seulement les glèbes extraites et exposées à l’air, mais encore la terre marécageuse qui se trouve étanchée par la préparation qu’on lui a fait subir, sont susceptibles de recevoir et de communiquer l’incendie. Le feu se répand alors sourdement, au grand préjudice de ceux qui vivent des tourbières et au grand effroi des pauvres gens qui habitent sur un sol inflammable. À chaque instant, leurs cabanes ou leurs chaumières peuvent être réduites en cendre. Il y a des exemples d’incendies qui ont duré ainsi de douze à quatorze jours. La matière terreuse brûlait à petit bruit, et la flamme, trouvant sans cesse un aliment, s’avançait accrue par ses propres ravages. On avait alors, sur un sol plat, la triste et lamentable figure du Vésuve. Ces incendies de tourbières

  1. On attribua à la foudre l’incendie de quelques tourtières hautes ; mais la plupart de ces désastres ont une origine plus vulgaire. Les ouvriers mettent le feu aux tourbes en allumant le tabac de leurs pipes.