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d’avoir soustrait 38,000 piastres des 150,000 qu’il devait distribuer. Joukitz fut conduit à Serajcvo et mis en jugement. Là, il allégua qu’Hayreddin-Effendi avait retenu 18,000 piastres pour son compte sur les 150,000 qu’il devait lui compter ; les autres 20,000 piastres étaient en réserve pour la construction de l’église de Jaïtza, d’après l’autorisation que lui avait donnée Omer-Pacha. Hayreddin-Effendi affirma n’avoir rien retenu, et présenta comme preuve la quittance de Joukitz, écrite en langue turque, que ce dernier ignorait. Omer-Pacha de son côté prétendit n’avoir jamais eu la moindre entente avec Joukitz au sujet d’une église. Joukitz s’évanouit de peur et fut remis en prison, où il chercha, dit-on, à se donner la mort en se coupant la gorge. On ajoute qu’il en fut empêché par un Turc, compagnon de sa captivité. Grièvement blessé, il fut transporté à l’hôpital, où il guérit après six semaines ; mais ce qu’il y a de curieux dans cet incident, c’est que Joukitz prétendit plus tard n’avoir jamais cherché à attenter à ses jours. Il assura que pendant son sommeil un Turc, prisonnier comme lui, avait cherché à l’assassiner, qu’il s’était débattu et avait appelé le gardien à son secours. Joukitz dut à l’intervention du clergé catholique de Constantinople d’être appelé dans cette capitale pour rendre compte de l’affaire : il prêta serment à l’appui de son innocence et fut acquitté ; mais, le séjour en Bosnie lui étant interdit, il partit pour Rome.

En août 1851, le siège du gouvernement fut reporté à Sarajevo, ainsi que l’avait résolu Omer-Pacha. Bien qu’il présidât à l’administration de la province, on n’entendit parler d’aucune amélioration ni d’aucun adoucissement au sort des chrétiens. Quelques paroles échappées d’Omer-Pacha firent penser qu’il croyait indispensable de les maintenir sous une règle sévère à cause de leur penchant au panslavisme ; le général en chef craignait aussi d’avoir tôt ou tard à réprimer de ce côté une nouvelle levée de boucliers en masse, excitée par l’Autriche et soutenue par la Serbie.

Le nouveau gouverneur civil de l’Herzégovine, Ismaïl-Pacha, arriva enfin et entra immédiatement en fonctions. Ismaïl-Pacha était un Turc de l’ancien régime, qui ne fit autre chose que remplir sa bourse pour payer les dettes qu’il avait laissées à Constantinople, et qui s’élevaient à plus d’un million et demi de piastres. On supposait que ses créanciers influens lui avaient procuré ce poste pour lui fournir l’occasion de remplir ses engagemens. Un mois plus tard, les chrétiens bosniaques furent consternés parmi ordre qui leur enjoignit de déposer leurs armes entre les mains des agens du gouvernement. Omer-Pacha fit exécuter sans retard le désarmement en envoyant des officiers avec une faible escorte dans tous les villages. À cette occasion, la brutalité de la soldatesque se fit voir dans toute son horreur.