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tolitre. En présence des alarmes que cette hausse a éveillées, le gouvernement a maintenu, grâce à Dieu, les vrais principes ; il a renouvelé les déclarations explicites, déjà faites à plusieurs reprises, en faveur de la liberté du commerce. Nous voilà donc rassurés contre le danger d’une intervention de l’autorité dans les prix, le plus grand de tous ; si par malheur des idées contraires avaient prévalu dans les conseils du gouvernement, comme en 1812, nous aurions eu à subir, comme alors, une terrible épreuve ; la cherté aurait bien vite dégénéré en disette et pis encore. Livré à lui-même, le mal sera moins grave. Il y aura sans doute de rudes privations, mais il ne faut pas s’effrayer outre mesure. Les cultures de printemps et d’été, comme les avoines, les orges, les sarrasins, les maïs, les légumes secs, sont bonnes généralement ; la maladie des pommes de terre a un peu cédé ; la vigne donnera de faibles produits, mais moins faibles qu’on ne le craignait d’abord. La dernière hausse n’a pas été partout également forte. Dans le nord, elle a touché 3 francs l’hectolitre ; dans l’ouest, elle a été à peu près nulle. Chaque jour le commerce intérieur dispose de moyens plus puissans. Le réseau des chemins de fer, qui nous a sauvés il y a deux ans, aura encore plus d’efficacité cette année, parce qu’il est plus étendu. Le chemin de l’ouest arrive jusqu’aux portes de la Bretagne, la partie de la France où le prix du blé est toujours le plus bas ; la lacune entre Lyon et Avignon est remplie. Si les blés de Russie n’arrivent plus, l’Algérie nous fournira probablement quelques millions d’hectolitres ; l’Espagne a un excédant qui commence à s’écouler vers les marchés anglais, et la récolte des États-Unis est, dit-on, excellente.

Voilà pour le présent ; quant à l’avenir, j’espère qu’on sentira la nécessité de détourner le moins possible les capitaux de l’agriculture. Dieu veuille que l’intensité du mal amène une réaction ! Il y a désormais une grande place à prendre pour les entreprises agricoles : d’un côté, le blé et la viande hors de prix ; de l’autre, les terres à bon marché, et de nouveaux procédés de production, comme le drainage, les machines, l’irrigation par l’engrais liquide, éprouvés par la pratique. Si quelque jour les capitaux peuvent reprendre ce chemin, et si leur emploi est suffisamment éclairé par la science et l’expérience, rapprochées et confondues, nous verrons sortir de ce sol, aujourd’hui si avare, des trésors inconnus ; les rigueurs même des saisons seront vaincues, et nous pourrons dire, en nous souvenant de la cherté qui aura provoqué ce retour tardif vers l’agriculture : À quelque chose malheur est bon.


Léonce de Lavergne.