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comme vizir pendant deux ans. C’était un homme de facultés ordinaires, mais ayant de l’aptitude pour la guerre, heureux dans tout ce qu’il entreprenait, et d’une bonté, d’une longanimité qui contrastaient avec la férocité et l’impétuosité de caractère de son chef et de son protecteur. Un voyageur anglais, à qui l’on doit un livre plein d’intérêt[1], nous a donné le portrait de Mahmoud-Pacha en quelques lignes, où la plaisanterie n’a pas cependant altéré la ressemblance. Il était alors à Janina, et c’était peu de temps avant sa mort. « A neuf heures du matin, j’allai présenter mes respects au vizir Mahmoud-Pacha, un homme avec un long nez, et qui ressemblait tout à fait au pape Benoît XIV. Je restai quelques heures avec lui, parlant des affaires turques, et nous entrâmes dans une vive discussion sur la question de savoir si l’Angleterre était une partie de Londres, ou si Londres faisait partie de l’Angleterre. Il me parut un homme remarquablement bon ; il prit un grand intérêt à entendre parler des affaires de l’Égypte, que j’avais récemment visitée… »

Mahmoud-Pacha, devenu à son tour rouméli-valessi, mourut à Prisrend. Après lui, la Bosnie échappa de nouveau au contrôle de la Porte, qui, pendant plusieurs années, chercha vainement à y introduire, ainsi que dans l’Herzégovine, le tanzimat-haïrïé (littéralement règlement d’équité). En septembre 1849, elle se décida à confier cette grave question à Tahir-Pacha, alors gouverneur civil et militaire de la Bosnie, en invitant les beys héréditaires des districts à user de toute leur influence sur les propriétaires turcs pour mettre en vigueur les nouvelles dispositions du tanzimat. Ces beys, comme on l’a vu, ont le titre de pachas, qu’ils doivent à la grande autorité qu’ils exercent dans le pays et aux cadeaux considérables qu’ils font aux hauts fonctionnaires du divan. Tahir-Pacha est un personnage déjà connu du public français, et nous n’aurons à dire que quelques mots avant de le montrer aux prises avec les événemens qui marquèrent la fin de sa carrière et de sa vie.

Tahir avait été marchand dans sa jeunesse, puis armateur et propriétaire d’un bâtiment de commerce. De 1816 à 1819, il exerça la piraterie, tantôt redouté, tantôt persécuté par la Porte. Au moment où éclata la guerre de l’indépendance grecque, il fut gracié et chargé de hautes fonctions dans la marine. On sait que ce fut lui qui commandait la flotte turque à la bataille de Navarin, et qui eut l’honneur d’être vaincu par les trois plus grandes puissances maritimes du monde. Triomphe sans gloire, défaite sans déshonneur ! Après la guerre, il fut investi des plus hautes dignités et envoyé, mais sans succès, en Algérie, pour opérer une entente avec le dey d’Alger. Plus

  1. Visites aux monastères du Levant, par l’honorable R. Curzon.