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de ces populations, des luttes et l’effusion du sang attristeront les nations chrétiennes ; les soulèvemens pourront être réprimés, mais pour recommencer, et quand la lutte aura duré assez pour avoir du retentissement en Europe, l’humanité blessée, la politique, l’opinion publique, forceront les gouvernemens à intervenir, et la Porte devra remettre le glaive dans le fourreau, ainsi que cela s’est vu lors de la campagne contre le Monténégro, chaque fois que, contrainte par la pression européenne, la Porte a été amenée à des concessions envers les chrétiens sujets du sultan, elle a perdu une portion de sa force intérieure. Si au contraire, ce qui ne paraît plus douteux maintenant, le divan continue à marcher dans la voie très louable et très prudente où il est entré, les populations chrétiennes s’avanceront d’un pas encore plus rapide vers un développement de race, de religion, d’industrie, de richesse, et, il ne faut pas se le dissimuler, cette issue n’est pas non plus sans danger pour la Porte-Ottomane. Certainement la race turque a de son côté de notables avantages : les Turcs sont habiles à la guerre, ils sont unis sous un drapeau qui a eu des jours glorieux et dont de nouveaux triomphes ont rajeuni l’éclat. Les chrétiens sont pour la plupart peu habitués sinon au maniement des armes, du moins à la discipline. La race turque a une longue habitude du gouvernement et en quelque sorte la tradition de l’autorité ; elle connaît l’art, familier aux races que la conquête a placées au-dessus de plusieurs races vaincues ou enchaînées dans leur orbite, de maintenir une population par une autre, de balancer un culte par un autre. Quoi qu’il en soit, on doit espérer qu’un gouvernement juste, une administration ferme, une autorité paternelle, pourront guérir bien des plaies, effacer bien des rancunes, adoucir bien des ressentimens. Des populations satisfaites seront moins aisément remuées par des conspirateurs ou des fanatiques. Une autre chance de paix et de tranquillité, c’est l’absence en Turquie, et on peut le dire en Orient, du sentiment et des passions révolutionnaires ; nulle aspiration à une fausse et impraticable égalité, nul désir de conquérir un droit abstrait et philosophique n’agitent et ne troublent ces natures simples et ces intelligences droites. Les populations de la Turquie veulent un bien-être modéré ; elles ont des intérêts de race, des passions religieuses, et ne demandent qu’à ne plus gémir sous l’oppression et à pratiquer librement leur culte.

Néanmoins ceux qui connaissent bien les populations chrétiennes de l’empire ottoman (et nous entendons parler surtout de celles du rite grec) savent qu’elles gardent profondément gravé dans leurs cœurs le souvenir de l’humiliation que leur culte a subie pendant les rigueurs du despotisme musulman, dont la mémoire se transmet de