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leurs alliés sur les bords du Danube ou en Crimée. Les généraux Lüders, Dannenberg et Niépokoëtchinski étaient ceux qui commandaient le plus l’attention, soit par leur rang, soit par leurs qualités et leur caractère. Le général Lüders, commandant du cinquième corps qui avait opéré en Transylvanie, serré comme un jeune homme dans son uniforme, aussi empressé dans un salon auprès des femmes qu’audacieux devant l’ennemi, payait partout de sa personne, le compliment à la bouche ou le pistolet au poing, sans être arrêté par son âge ou par son rang ; ses manières étaient simples, son langage dépouillé de toute affectation et de toute emphase. Il venait de remporter de grands succès en Transylvanie ; ses flatteurs l’appelaient le libérateur de la Transylvanie, et lui donnaient le surnom de Zakarpatsky, qui n’a été consacré ni par un ukase ni par l’histoire. Il racontait lui-même la campagne qu’il venait de faire avec une modestie qui rehaussait son mérite, qu’il ne croyait dû qu’au bonheur ; mais ce bonheur avait été égalé par son activité. La calme franchise de son langage étonnait beaucoup ceux qui croyaient que les Russes tiennent leurs pensées prisonnières, et qui ne savent pas que la plus grande liberté anime et relève souvent leurs conversations. D’ailleurs, à l’époque dont nous parlons, les Russes se croyaient parvenus à un tel degré de supériorité, qu’ils ne pensaient plus avoir à garder d’autres ménagemens que ceux commandés par la politesse ou le respect des convenances. Parlant de la Transylvanie et de la campagne qu’il y avait faite, le général Lüders disait : « Il règne entre les Autrichiens et les Hongrois une haine profonde, et ces derniers sont également détestés par toutes les races qui couvrent le territoire de la Hongrie, Saxons, Serbes, Croates, Valaques. Ceux-ci surtout sont, à l’état de parias, et forment en Transylvanie la population la plus malheureuse ; ce sont eux qui ont, dès le commencement de l’insurrection, soutenu l’armée autrichienne, et les Russes ont eu beaucoup à se louer de leur concours pour les approvisionnemens. Dès le principe, leur union avec les Hongrois aurait probablement donné une autre tournure à l’insurrection. Sans les provisions que j’ai trouvées dans les principautés et sans Yanco, le chef des Valaques de Transylvanie, je n’aurais pu réussir. Aussi, parmi les correspondances que j’ai interceptées, ai-je trouvé des lettres de Kossuth à Yanco, dans lesquelles il disait que les Hongrois se repentaient d’avoir méconnu les droits de leurs frères valaques, et qu’en cas de succès ceux-ci pourraient compter sur toutes les concessions qu’ils demanderaient. Les Valaques, ajoutait le général Lüders, sont très dignes d’intérêt, et j’ai adressé en leur faveur un mémoire à l’empereur, qui m’a répondu qu’il ne pouvait pas intervenir en pareille matière, mais qu’il avait transmis le mémoire à la cour de Vienne.