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se servaient du chef du pays pour faire tout ce qu’ils voulaient, mais sans éclat. Un autre procédé du muchir ajouta aux déboires du prince de Valachie. Le sultan, sur la proposition de Fuad-Effendi, avait accordé des décorations à quelques boyards ; Omer-Pacha les remit lui-même, tandis que le général Du Hamel et le général Lüders s’étaient adressés au prince pour la remise de celles qui avaient été conférées par l’empereur de Russie. Il est vrai que parmi les boyards, objet des faveurs du sultan, il y avait trois fils de feu l’hospodar Grégoire Ghika, qui avaient déclaré qu’ils ne recevraient jamais les décorations du prince Stirbey, qui leur avait baisé la main pendant le règne de leur père.

Dans toutes ces occasions, c’était à l’agent de France que le prince de Valachie avait recours, soit pour se soulager en versant ses plaintes dans une oreille bienveillante, soit pour obtenir, par l’influence de son impartialité reconnue et des bonnes relations qui existaient entre Omer-Pacha et lui, que la fougue de ce dernier fût légèrement tempérée. Ce caractère, longtemps contenu par une position secondaire, prenait en effet largement sa revanche[1]. Omer-Pacha ne cachait plus son désir de voir la guerre déclarée entre la Turquie et la Russie. Employé par son gouvernement dans toutes les occurrences sérieuses et difficiles, vainqueur des Druses, des Albanais et des Kurdes, considéré comme le premier homme de guerre de l’empire, il avait de lui-même une haute opinion, et souhaitait vivement une occasion de se mesurer avec des adversaires européens. Il parlait des généraux Haynau, Lüders, Rudiger, Jellachich, du maréchal Paskievitch lui-même, comme s’il avait parlé d’égaux avec lesquels il lui tardait de se rencontrer sur un champ de bataille. Cette confiance ne déplaisait pas : mais on eût voulu la voir s’exprimer avec moins d’assurance. Notre excessif respect des convenances nous rend insupportable le naïf aveu de la supériorité, plus modeste cependant, quelquefois qu’une modestie affectée. Les événemens de 1853 et 1854 ont donné en partie raison à Omer-Pacha, et, de l’avis de tous les juges impartiaux, il s’est montré supérieur à ses adversaires.

Parmi les généraux russes qui se trouvaient alors à Bucharest, il y en avait qui venaient de jouer un rôle dans la campagne de Transylvanie, ou qui devaient plus tard se mesurer avec les Turcs ou

  1. Homme d’impressions, le muchir tenait souvent un langage aussi variable que ses impressions mêmes ; c’est ainsi qu’à une époque où il avait espéré être ministre de la guerre, son désappointement, en apprenant la nomination d’un concurrent, lui arracha les discours les plus amers contre la Porte et les plus imprudens, puisqu’il dévoilait, avec l’autorité d’un homme du métier, les côtés faibles de la Turquie comme puissance militaire.