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Bucharest et Yassy sont la Californie de la Transylvanie et de la Bukovine, et le luxe de ces deux grandes villes a enrichi plus d’un pauvre enfant des frontières de l’Autriche. Omer-Pacha avait alors, — novembre 1849, — une petite fille de cinq ou six ans qui était pleine de vivacité et d’intelligence. Ses femmes étaient mortes, ou il les avait renvoyées, et ses coreligionnaires ne manquaient pas de dire qu’il en changeait trop souvent, même pour un Turc. Il voulut faire apprendre le piano à sa fille, et on lui indiqua la jeune Saxonne, qui fut bientôt après installée dans son palais. Elle-même était très timide et sortait à peine de l’enfance. Elle avait le teint très blanc, les cheveux d’un blond très clair, du reste ni beauté ni expression. Il paraît qu’elle avait du talent comme musicienne ; elle plut à Omer-Pacha, et l’institutrice de la petite Éminé devint bientôt sa belle-mère. Elle parut dès lors dans le monde avec les plus riches toilettes et sans voile ; son mari la traitait comme une Européenne et avec les plus grands égards. Omer-Pacha est très sensible aux charmes de la musique et de la conversation ; il aime l’esprit et a sur le rôle des femmes dans le monde et dans leur intérieur des idées fort justes ; mais on dit que la pratique ne s’accorde pas toujours chez lui avec la théorie. Lors de son dernier séjour en Valachie, où elle avait de nouveau accompagné son mari, Mlle Omer-Pacha, devenue tout à fait khanoum, ne sortait plus qu’avec le voile, précédée d’affreux eunuques noirs ; on l’appelait, en lui parlant ou en parlant d’elle à Omer-Pacha, en français ou en allemand, madame la maréchale. Omer-Pacha, qui a l’esprit de famille à un haut degré, combla les parens de sa femme. La mère, apprenant la fortune de sa fille, était venue de Cronstadt à Bucharest, sans être annoncée et sans avoir prévenu de son arrivée ; elle monte, vêtue comme les paysannes saxonnes et chaussée de grosses bottes, dans l’appartement de son gendre. On allait se mettre à table. Omer-Pacha la reçoit comme sa mère, aide sa femme à la débarrasser de ses bottes, fait apporter un bassin pour lui laver les pieds, et lui prodigue les démonstrations respectueuses d’un fils musulman.

Cependant Omer-Pacha, qui avait été nommé muchir de l’armée de Roumélie, c’est-à-dire commandant des forces ottomanes dans la Turquie d’Europe, et que ne contenait plus l’esprit prévoyant et conciliateur de Fuad-Effendi, se laissait aller de nouveau à sa nature impétueuse et à son antipathie contre les Russes et leurs partisans, bien qu’il se parât volontiers néanmoins du grand-cordon de Sainte-Anne, qu’il avait reçu, ainsi que Fuad-Effendi, après le rétablissement de l’ordre légal en Valachie. Il tenait un langage imprudent, mais qui témoignait de la confiance qu’il avait en lui-même et de son désir d’effacer les humiliations de la Turquie. Il ne parlait