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netteté de l’intelligence occidentale. D’ailleurs il réunissait déjà ce mélange de ruse et de violence qui est le trait caractéristique des Orientaux. On peut en juger par le fait suivant, que je tiens de lui-même. Il était à Deir-el-Kamar, cette citadelle naturelle du Liban, dans le palais mauresque et féodal de Betteddin, où M. de Lamartine a vu l’émir Béchir dans les derniers jours de sa splendeur. Il venait de recevoir du gouverneur général de la province l’ordre d’arrêter un des cheiks druses les plus dangereux, lorsqu’on annonça le cheik druse lui-même, qui venait lui rendre visite. Le cheik est introduit et prend place sur le divan, à côté du commandant militaire. Après les complimens d’usage, Omer- Bey (c’était alors sa qualité) est obligé de quitter le divan où il était assis et de passer dans une autre pièce. Son absence ne dure que quelques minutes, mais à son retour il est frappé du changement qu’a subi la physionomie du cheik druse ; il le trouve préoccupé, sombre ; un coup d’œil rapide l’a bientôt instruit de la cause de l’émotion de son hôte. Il s’aperçoit qu’il a eu l’imprudence de laisser sur la place vide, entre le cheik druse et celle qu’il occupait lui-même, l’ordre d’arrestation à moitié ouvert. Le cheik, poussé d’abord sans doute par une simple curiosité (dans le Liban, on ne se pique pas d’être discret), avait ensuite lu avec un avide empressement cette pièce, qui était pour lui d’un intérêt si grave, et n’avait pas pu cacher son émotion avant la rentrée d’Omer-Bey. Celui-ci ne se trouble pas. Tout en entretenant le cheik avec une parfaite liberté d’esprit, il fait sur place une réponse au pacha, représente le cheik druse comme un homme revenu de ses erreurs, ayant cessé d’être dangereux pour l’ordre public, et termine en annonçant au pacha que, loin de vouloir l’arrêter, il est décidé à lui offrir un emploi important. La lettre achevée, Omer-Bey la dépose sur le divan sans affectation, et prétexte l’obligation où il est de sortir de nouveau de la salle. Au bout d’un quart d’heure d’absence, il rentre et trouve le calme et la sécurité revenus sur les traits du cheik, qui avait lu avec une curiosité qu’Omer-Bey avait facilement pressentie le papier laissé sur le divan. Complètement rassuré, le cheik accepte l’hospitalité que lui offre le commandant militaire, soupe avec lui, couche sous le même toit. Le lendemain il avait sans doute oublié les incidens de la veille et s’apprêtait à monter à cheval pour retourner chez lui, quand il fut arrêté, conduit à Beyrouth et livré au pacha.

Après les affaires de Syrie, Omer, devenu pacha, fut envoyé en Albanie pour dompter l’insurrection et opérer le recrutement. Sa mission eut un plein succès malgré les difficultés qu’elle présentait, et il fut désigné pour aller faire les mêmes opérations dans le Kurdistan. Depuis lors, il fut considéré par tous les vrais musulmans. À Constantinople même, dans les plus hautes régions du pouvoir,