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de l’armée ottomane et l’objet des plus hautes distinctions de la part des souverains de l’Europe. Michel Lattas appartenait à une famille obscure, et son éducation n’avait pu être achevée ; il est surtout probable que l’enseignement religieux avait laissé des traces peu profondes dans son âme. Je ne chercherai pas à le justifier, mais la facilité avec laquelle j’ai vu en 1849 les débris de l’insurrection magyare, des Croates, des Polonais, des Hongrois, abandonner la noble et antique religion de leurs pères, le signe sacré des croisades, avec lequel leurs ancêtres avaient si souvent vaincu, pour embrasser l’islamisme, a dû m’inspirer des réflexions moins sévères, sans effleurer mes croyances.

Le fameux comte de Bonneval disait : « On se casse la tête en Europe pour savoir pourquoi je me suis fait musulman. Mon Dieu, c’est uniquement pour aller en robe de chambre et en pantoufles toute la journée. » Michel Lattas, qui n’était pas né comte et qui devait se créer une position à force de travail, ne pouvait pas imiter le célèbre renégat français ; il entra dans l’armée turque, eut des commencemens lents, difficiles, semés d’incidens curieux, et parvint par son propre mérite, et de grade en grade, aux plus hautes dignités de l’armée ottomane. Ses premières études dans une école militaire européenne lui furent d’une grande utilité, et le placèrent tout de suite dans une situation de supériorité réelle à l’égard de ses nouveaux coreligionnaires. Aussi le prince Schwarzenberg, ce brillant homme du monde dont les révolutions avaient fait un grand ministre en quelques mois, était-il plus spirituel que juste lorsqu’il disait en 1850 à l’auteur de ces souvenirs, en parlant d’Omer-Pacha : « Vous en faites trop de cas ; c’est un Croate, et c’est tout dire ; nous avons deux mille capitaines de cette force-là dans l’armée autrichienne. »

Ce fut en Syrie, où il était commandant militaire du Liban en 1842, qu’Omer-Pacha commença à se faire connaître et apprécier du gouvernement turc et de l’Europe. Il déploya dans les difficiles fonctions qui lui furent confiées une fermeté quelquefois cruelle, mais le plus souvent juste, et se rendit si populaire, que les Maronites le souhaitèrent un moment pour chef de la montagne. Lui-même dit volontiers que si la Porte l’eût fait prince du Liban, elle eût comblé les vœux des Druses comme des Maronites. Déjà il se laissait tromper par les mirages de l’ambition : on le verra plus tard sourire à l’idée d’une autre principauté ; la gloire s’habitue volontiers à regarder la domination comme la seule récompense digne d’elle. Dès cette époque, l’Oriental avait chez Omer-Pacha remplacé petit à petit l’Européen. Seulement c’était un Turc discutant en allemand ou en italien avec les consuls étrangers à Beyrouth et gardant toute la