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que celle de la vallée du Salado ; mais on n’a pas retrouvé les points de repère indiqués sur une carte dressée d’après une exploration antérieure du Vermejo qui remonte à 1790.

Nous ne croyons pas nous méprendre en donnant quelque importance à cet ordre de faits. Quelque imparfaits que soient de pareils essais, combinés avec l’émigration européenne qui se porte dans le Parana et au Paraguay, ainsi qu’avec le mouvement provoqué dans la province de Catamarca par la découverte de mines très riches, ils n’en prépaient pas moins la paisible conquête du désert ou sur la nature ou sur les misérables Indiens qui achèvent d’y mourir. Malheureusement il n’en est pas de même plus au sud, sur le territoire de la province de Buenos-Ayres. Là, pendant quelque temps, les Indiens, qu’avaient contenus pendant nombre d’années la terreur du nom de Rosas et sa remarquable habileté à les maîtriser, ont relevé la tête et recommencé leurs incursions dévastatrices contre les établissemens agricoles ou plutôt contre les grands élevages de bestiaux qui font la richesse du pays, et dont la multiplication devient pour l’Europe un besoin de premier ordre. Leurs bandes sont nombreuses, car de ce côté, entre la frontière du Chili et celle de Buenos-Ayres, il existe encore des tribus puissantes et redoutables avec lesquelles le gouvernement chilien lui-même, qui est le mieux organisé de l’Amérique du Sud, croit devoir garder certains ménagemens. Et ce qui pourrait aggraver la situation, c’est que quelques gauchos, anciens partisans de Rosas, proscrits ou se croyant menacés, auraient grossi les rangs des sauvages pour se venger de la société qui les repousse. La guerre contre les Indiens est donc aujourd’hui un des embarras du gouvernement de Buenos-Ayres, qui, à la date des dernières nouvelles, avait un grand désastre à réparer dans la campagne. Un détachement de cent trente hommes à peu près, d’autres correspondances disent près de deux cents, venait d’être exterminé par les sauvages, sans qu’il en échappât un seul. On craignait qu’enhardis par ce succès et par leur nombre, qui s’élevait à cinq mille, ils ne pénétrassent dans les départemens plus rapprochés de la capitale, où ils pourraient faire un mal immense, les estancias y étant plus riches, sans être pour cela beaucoup mieux défendues.

Il serait fâcheux à tous égards pour le gouvernement de Buenos-Ayres que cette situation se prolongeât, car elle paralyserait les travaux d’amélioration dans le pays et dans la capitale dont il se fait justement honneur ; mais, sans entrer dans les détails de l’ardente polémique qui défraie aussi largement que stérilement les nombreux journaux de cette ville, il est permis de croire que le rétablissement de la nationalité argentine serait le meilleur moyen de rétablir aussi le prestige trop affaibli du nom de Buenos-Ayres dans l’esprit des Indiens. La persistance de cette province dans l’isolement est une mauvaise politique, qui rappelle trop l’orgueilleux système obstinément suivi envers les autres par le général Rosas, et que ses ennemis n’auraient pas dû lui emprunter.

CH. DE MAZADE.