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les garanties en faveur du droit et de la sécurité de l’Occident. Telle est donc la situation où l’Europe se trouve aujourd’hui placée, entre une paix qu’elle est intéressée à faciliter de tous ses efforts, de toute son influence, et une guerre dont les premiers effets, dans le cas de la prolongation des hostilités peuvent atteindre ceux-là même qui se réfugient dans une inerte et énigmatique indécision.

Or, en présence de cette situation et de cette trêve de trois mois laissée à la réflexion des gouvernemens et des peuples, où sont les chances de paix ? À quoi peut tenir surtout la continuation de la guerre ? En un mot, quelles sont les dispositions de chaque puissance ? Il y a sans doute des difficultés générales inhérentes à la nature de cette crise, qui présente tant de questions insolubles, plus insolubles même que celle qui a été l’écueil des conférences de Vienne ; mais enfin de ces difficultés peut naître aussi la possibilité d’un accord équitable. De toutes les puissances, la France est évidemment, celle qui a le plus de penchant, sinon le plus d’intérêt, à accepter une paix sérieuse et digne de ses sacrifices. La France heureusement n’a trouvé dans cette guerre que de légitimes sujets d’orgueil. Partout où ses soldats ont paru, ils ont été victorieux et ont contraint le monde à l’admiration. Le poids de son influence et de ses conseils s’est fait sentir en Europe et s’y fait sentir encore à coup sûr. La France n’a donc aucun intérêt à modifier, sans y être réduite, la nature d’une guerre qu’elle a commencée avec un but précis, — à fermer l’oreille à des propositions qui atteindraient l’objet primitif de ses efforts.

L’Angleterre, dit-on, serait moins accessible à des conseils pacifiques, ou, pour mieux dire, c’est lord Palmerston qui entretiendrait les instincts belliqueux du peuple anglais, afin d’assurer son ministère. D’abord nous ne croyons pas à ce pouvoir, d’un homme sur une nation accoutumée à donner une direction à ses ministres plutôt qu’à la recevoir d’eux, et si des propositions sérieuses étaient faites, le calcul très hypothétique prêté à lord Palmerston tournerait certainement contre lui. En outre l’Angleterre est entrée dans la lutte actuelle aux mêmes conditions que la France, avec les mêmes vues. Là où le but de l’alliance serait atteint pour la France, il serait évidemment atteint pour l’Angleterre. Unies par tant de liens dans cette question, les deux puissances n’ont rien à précipiter ni à redouter. Leurs préparatifs militaires n’ont point cessé ; bien loin de voir s’éloigner d’elles les autres pays, elles gagnent chaque jour à leur cause des adhésions utiles. La Suède n’a point signé de traité, comme on l’a dit, il est vrai ; mais ses sympathies pour l’Occident ne sont point un mystère. D’est donc dans la plénitude de leurs forces, avec l’assurance de voir s’accroître le nombre de leurs alliés, que l’Angleterre et la France sont prêtes, sans nul doute, à écouter toute proposition de paix.

Si la bonne volonté des puissances occidentales est réelle aujourd’hui, où donc est l’intérêt de la Russie elle-même ? N’est-il point dans la paix ? Certes les soldats du tsar ont combattu avec courage ; mais enfin leurs efforts ont été malheureux jusqu’ici. Partout, à Kinburn comme dans la mer d’Azof, à Sébastopol comme à Svéaborg, la Russie n’a éprouvé que des désastres ; En ce moment même. Omer-Pacha vient de passer l’Ingour en Asie et de faire un mouvement qui peut avoir pour résultat de débloquer Kars, ce qui serait