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qu’il connaît trop bien, et qui ne peut que mal finir. Dans le fait, ce voyage s’ouvre sous de tristes auspices ; au milieu d’un dîner donné par le père d’Amyas, M. Oxenham s’est levé tout à coup en s’écriant : l’oiseau à la gorge blanche ! L’oiseau à la gorge blanche ! là, là, le voyez-vous ? Cet oiseau mystérieux et invisible apparaissait toujours aux membres de la famille Oxenham lorsque leur fin était prochaine. Malgré ce funèbre présage, M. Oxenham ne remit point son départ, et alla à la rencontre de sa destinée. Une voix plus forte que la voix prophétique, plus forte même que le désir de l’or, guidait ses actions, et ses compatriotes ne surent la vérité que bien des années après, lorsque Salvation Yeo revint, seul survivant de tout son équipage, raconter sa triste fin à sir Richard Grenvil et à Amyas Leigh.

M. Oxenham était donc parti avec un équipage de soixante et dix hommes, tous enflammés du même désir de lucre, et qui l’adoraient non comme un maître, mais comme le plus intelligent et le plus brave de leurs camarades. « Nous étions persuadés, disait Salvation Yeo, que nous trouverions des trésors plus considérables que ceux du temple de Salomon, et que M. Oxenham nous apprendrait la méthode de conquérir quelque ville toute d’or, ou de découvrir une île faite de pierres précieuses. » — « Vous serez notre roi, capitaine, avait-il dit un jour à M. Oxenham. » A quoi ce dernier avait répondu : « Si cela arrive, je ne serai pas longtemps sans une reine, et qui ne sera pas une Indienne. » Le sens de ces paroles se découvrit peu de temps après, lorsqu’après quelques aventures insignifiantes les voyageurs furent arrivés à l’île des Perles, près de Panama. En débarquant, ils n’y trouvèrent qu’un seul Espagnol, que M. Oxenham reconnut subitement. « Perro, où est ta maîtresse ? s’écria-t-il transporté de joie. » Le domestique lui apprit qu’un vaisseau était attendu de Lima dans une quinzaine de jours. Quelques-uns des matelots, enrichis par la pêche des pertes et le pillage d’une petite barque chargée d’or, désiraient s’en retourner ; mais M. Oxenham supplia, menaça, et promit l’arrivée d’une barque qui les rendrait tous riches comme des princes. L’équipage consentit à attendre, et le seizième jour après leur arrivée la barque promise arriva ; mais, au grand mécontentement des matelots, elle ne contenait que 100.000 pesos d’argent. En revanche, elle amenait une jeune dame merveilleusement belle, accompagnée d’une petite fille de six à sept ans, jolie comme le jour, et, comme pour marquer le contraste, d’un garçon d’environ seize ans, laid comme un péché mortel. Hélas ! cependant c’était la jolie petite fille qui était le produit d’un péché mortel.

La dame descendit de l’embarcation capturée sans manifester la