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faire encore à M. Kingsley. Jusqu’à présent, on avait considéré les hommes dont nous venons de faire le portrait comme les représentans de l’esprit de la renaissance. M. Kingsley a tenu à montrer que chez eux cet esprit n’était qu’un ornement, et que le fonds de leur être était l’anglicanisme. Que Walter Raleigh ou Philip Sidney aient été d’aussi bons protestans que Richard Grenvil ou Amyas Leigh, c’est possible ; mais ce qui est certain, c’est qu’ils l’étaient autrement. Il y avait en eux un élément cosmopolite, universel, qui ne se trouvait pas chez les autres. Ils étaient plus près de nos idées modernes sur la tolérance, la liberté de conscience ; ils étaient plus près de nos méthodes transcendentales d’appréciation et de critique religieuse. Leur platonisme, leur culture, n’étaient pas seulement, comme leurs manières, un ornement extérieur, une forme extérieure de leur âme : il était, croyons-nous, un élément essentiel de leur vie, et ils étaient par conséquent anglais et protestans autrement que les rudes et loyaux marins sur lesquels le continent n’avait eu aucune prise. Ce n’est qu’une nuance, mais elle est importante, et M. Kingsley l’a aperçue comme nous, puisqu’il s’est cru obligé de se faire l’apologiste de leur anglicanisme.

Il y avait alors encore un troisième type d’Anglais, l’aventurier, l’homme poursuivi par le fantôme de l’or, et qui parcourait les mers, moins pour étendre l’influence de l’Angleterre que pour faire fortune, moins pour réprimer l’ambition des Espagnols que pour les imiter. Le roman de M. Kingsley contient une si belle histoire d’aventurier, que je ne puis résister au désir de la raconter. Elle est, comme toutes les histoires du temps, passionnée et dramatique.

À Bideford, dans le sud de l’Angleterre, théâtre de la vieille civilisation anglaise et patrie de ses anciennes illustrations, M. John Oxenham, marin intrépide et compagnon du célèbre Francis Drake, recrute des marins pour un prochain voyage. Il enflamme les cœurs des pauvres paysans en faisant briller devant leurs yeux les perspectives dorées de l’Eldorado et le pillage des galions d’Espagne. Lui-même se montre et se pavane comme un échantillon des richesses du Nouveau-Monde, des chaînes d’or brillent à son cou, des anneaux d’or reluisent à ses doigts, et sur son chapeau étincelle, retenue par une agrafe d’or, le riche plumage d’un oiseau d’Amérique. Un de ses matelots, Salvation Yeo, montre à l’admiration des recrues une corne de buffle ornée de merveilleuses ciselures représentant des combats de terre et de mer, des villes et des ports, des dragons et des éléphans, des combats de baleines et de requins, des îles avec leurs singes, leurs oiseaux et leurs palmiers. Amyas Leigh suivrait volontiers M. John Oxenham, si sir Richard Grenvil, mieux avisé, ne détournait pas l’enfant de ce voyage avec un aventurier