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de friandises, et à désirer d’aller sur mer lorsqu’il serait assez grand. Ce n’était pas non plus ce qu’on appellerait de nos jours un enfant pieux, car bien qu’il récitât son Credo et son Pater soir et matin, qu’il allât entendre le service de l’église chaque matinée, qu’il lût les psaumes avec sa mère tous les soirs, et qu’il eût appris de ses parens qu’il était infiniment noble de faire bien et infiniment vil de faire mal, cependant (l’aurore des livres religieux pour les enfaus n’avait pas encore brillé sur le monde) il n’en savait pas plus long sur la théologie et sur sa propre âme immortelle qu’il n’y en avait dans le catéchisme de l’église. C’est une question en résumé que de savoir si, tout grossièrement ignorant qu’il fut relativement à nos idées modernes dans la science et la religion, il n’avait aucune notion de virilité, de vertu et de piété, et si l’étroitesse barbare de son instruction n’était pas contrebalancée en lui et chez ses contemporains par la profondeur, l’étendue et la salubrité de son éducation. »

Les personnages anglicans et royalistes dévoues qui l’ont l’admiration de M. Kingsley peuvent se diviser en deux classes : les uns, les Richard Grenvil, les Francis Drake, les Amyas Leigh, représentent les pures qualités anglaises et insulaires ; leurs idées ne vont pas au-delà de leur pays et même de leur comté, leur protestantisme tout anglais ne s’est pas souillé au contact du protestantisme étranger ; les docteurs de Strasbourg et de Genève n’existent pas pour eux ; la renaissance et toutes les lumières qu’elle a fait briller n’ont pas eu prise sur leurs mœurs et leurs idées. Mais il y a toute une autre catégorie de gentilshommes, les Walter Raleigh, les Philip Sidney, les Frank Leigh (le propre frère d’Amyas), dont l’éducation s’est plutôt faite sur le continent qu’en Angleterre et sur la mer. Sur eux, le protestantisme étranger et surtout la renaissance ont mordu davantage. Ils représentent l’influence italienne, si considérable au XVIe siècle, mais qui ne fut guère nulle part plus forte qu’en Angleterre, ainsi que nous pouvons le voir par les poètes dramatiques et lyriques de cette époque. Ceux-là unissent à leurs sentimens d’Anglais des sentimens plus universels : ils sont bons protestans sans doute, mais meilleurs platoniciens ; comme il convient à des hommes qui ont étudié Marsl ! e Ficin et Pic de La Mirandole, ils unissent le culte du Dieu chrétien au culte de la Vénus morale, selon la belle expression de Shaftesbury, qui a tant de ressemblance avec certains hommes de cette génération. Au profond sentiment de la nature particulier aux Anglais, ils mêlent l’idée d’une félicité idéale, arcadienne, utopique, rapportée du Midi ; au sentiment ingénu et sans détours de l’amour anglais, ils mêlent la galanterie italienne, et chanteraient volontiers, en s’accompagnant du luth, leur espoir et leurs souffrances. Pour eux, il n’y a pas seulement, comme pour les Richard Grenvil et les Francis Drake, une Angleterre ; il y a, grâce à cette influence de la renaissance, une humanité. Et ici nous avons une toute petite querelle à