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d’Arthur dans la vieille édition de Caxton et de la traduction de l’Histoire des Indes-Occidentales, de Las-Casas, récemment traduite en anglais sous le titre de Cruautés des Espagnols, il n’avait jamais rien lu et ne savait rien. Il croyait dévotement aux fées qu’il appelait pixies, tenait pour certain qu’elles changeaient les enfans en nourrice et faisaient pousser les mousserons sur les clairières pour leur servir de tapis de danse. Lorsqu’il avait des verrues ou des brûlures, il s’en allait trouver la sorcière blanche de Northam pour se faire guérir. Il croyait que le soleil tournait autour de la terre, et que la lune avait quelque parenté avec les fromages de Chester. Il s’imaginait que les hirondelles donnaient tout l’hiver au fond de l’abreuvoir, parlait comme Raleigh, Grenvil et autres personnes de mauvaise éducation, avec l’accent le plus prononcé du Devonshire, et était, à beaucoup d’autres égards, si ignorant, que tout moniteur tant soit peu expérimenté d’une de nos écoles nationales aurait eu les meilleures raisons de se moquer de lui. Néanmoins ce jeune sauvage ignorant, privé des glorieux progrès du XIXe siècle (à savoir la littérature à l’usage des enfans, la science rendue accessible à tous, et surtout les aperçus sur l’histoire d’Angleterre aujourd’hui familiers à nos essayistes de chemins de fer, lesquels aperçus consistent à croire que jusqu’à l’année 1688 il n’y avait en Angleterre que des fous ou des hypocrites), avait appris certaines choses qu’il n’aurait apprises dans aucune de nos modernes écoles, car son éducation avait été celle des anciens Perses : — dire la vérité et savoir tirer de l’arc. Dans ces deux vertus sauvages, il était arrivé à la dernière perfection, aussi bien que dans ces autres vertus également sauvages, — endurer joyeusement la souffrance et croire que la plus belle chose du monde était d’être un gentilhomme, lequel mot on lui avait appris à comprendre ainsi : ne faire inutilement de la peine à aucun être humain, riche ou pauvre, et mettre tout son orgueil à sacrifier son plaisir au profit de ceux qui étaient plus faibles que lui. En outre, comme dans les dernières années on lui avait donné un jeune poulain à dompter et une paire de jeunes faucons que son père avait reçue de Lundy Isle à dresser, il avait grandi, au moyen de ces grossiers et frivoles amusemens, en persévérance, en contrainte sur lui-même, en habitudes réfléchies. Quoiqu’on ne lui eût jamais appris à employer son intelligence et qu’on ne lui eût jamais donné de leçons, il connaissait les noms et les mœurs de tous les poissons, oiseaux et insectes, et possédait aussi bien que le plus vieux marin la signification de chaque poussée de nuages. Depuis quelque temps, il était, en vertu de sa taille et de sa force extraordinaires, le coq sans rival de l’école et le plus batailleur des enfans de Bideford, brutales habitudes dans lesquelles il se complaisait et dont il savait tirer parti au profit du bien, en rendant la justice parmi ses camarades à bons coups de poing, en secourant les opprimés et les faibles. Aussi était-il la terreur de tous les petits matelots, ainsi que l’orgueil et la providence des petits garçons et des petites filles de la ville, et il croyait n’avoir pas bien rempli sa journée lorsqu’il revenait au logis sans avoir rossé quelque gros tyran qui opprimait un plus faible que lui. Pour le reste, il n’avait jamais pensé sur la pensée, ni senti sur le sentiment, et toutes ses ambitions se bornaient à plaire à son père et à sa mère, à s’attribuer par d’honnêtes moyens le plus qu’il pouvait