Il y a des formules pour la politesse, des formules pour l’amour, des formules pour l’amitié, des formules même pour la religion. On n’est pas seulement malade ou bien portant selon les règles, comme le disait Molière ; on est poli selon les règles, religieux selon les règles, amoureux selon les règles. Une société charmante, expression délicate et raffinée de l’esprit français, s’établit ; mais avec elle commence le règne de l’artificiel et du factice. Adieu maintenant pour jamais à ces expressions spontanées du courage, de l’amour, de la religion, qui se déployaient avec des couleurs si splendides, et éclataient avec des mouvemens si irrésistibles ! l’âme a trouvé son tyran, et le règne de la société commence à peser de tout son poids sur l’individu.
Oui, voilà la vraie raison pour laquelle le XVIe siècle a tant de grandeur et tant de confusion à la fois. Libre pour la première fois depuis des siècles, débarrassée du lourd fardeau du moyen âge, non encore enlacée dans les pièges, les trappes et les filets de la bureaucratie, du gouvernement et des mœurs conventionnelles modernes, l’âme humaine s’ouvre, s’étend à l’infini, aspire violemment toutes les émanations de la terre, désire et pressent toutes les splendeurs divines, s’abandonne à toutes ses ardeurs. On n’a pas encore inventé ces conventions, plus mortelles pour elle et surtout plus efficaces que ne le furent jamais les inquisitions et les tortures. L’âme ose tout et exprime avec une candeur d’enfant ce qu’elle a osé, elle ne se connaît point de contrôle. Je sais la grande objection, les hommes du XVIe siècle sont barbares. Oui certes, et même ils nous suggèrent cette réflexion qui pourra surprendre, mais qui n’en est pas moins vraie : qui sait exactement quelle dose de barbarie doit entrer dans la nature humaine pour qu’elle soit parfaite ? Ce qui est certain, c’est qu’il est aussi essentiel qu’il y ait en nous un peu de la nature du barbare qu’il est essentiel qu’il y ait de la soude dans notre sang ou du sel dans nos alimens. Par barbarie, nous entendons la domination des forces instinctives qui sont en nous sans souci des règles établies. Cet élément barbare est le principe de la liberté, et quiconque ne l’a point n’aime pas la liberté ; il est le principe des grandes choses, et quiconque ne l’a pas sera toujours incapable de grandes choses. Malheur aux gens trop civilisés ! la carrière de l’amour et de la foi, du sacrifice et du dévouement leur est à jamais fermée. Ils pourront avoir toutes les qualités intellectuelles possibles ; ils seront fins, discrets, intelligens, mais ils ne réussiront jamais qu’à vivre, et passeront leur vie à désirer ce qui ne vaut pas la peine d’être désiré. Dans le bien, ils ne dépasseront jamais une honnête moyenne bourgeoise ; dans le mal, ils seront rarement des scélérats, mais en revanche ils seront de vulgaires coquins. Quant à