Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/1113

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

revivre à l’occasion des Cazalis un vieil usage à peu près tombé en désuétude, et qu’on ne retrouve plus aujourd’hui que du côté de Monnieux et dans quelques villages de la viguerie d’Apt. À l’église, des essaims de colombes s’envolèrent de tous côtés au-devant de Sabine ; à la sortie, des bergers en costumes printaniers vinrent lui offrir un agneau blanc, paré de fleurs, pendant que des jeunes filles lui présentaient les ciseaux pour couper la corde qu’on avait tendue devant elle en travers de la rue.

Toute la nuit on dansa à la Pioline ; les barricels de muscat étaient en perce sur la terrasse. Malaterre trinquait avec les gendarmes ; Cayolis dansait avec sa promise, la belle Rosine ; on faisait cercle autour de lui pour admirer un pas très compliqué qu’il avait inventé ; Bélésis était le seul qui eût osé lui faire vis-à-vis ; avec sa jambe infirme, il faisait merveille. La Zounet allait et venait au milieu des convives en faisant sonner ses clés ; elle était vêtue d’une belle robe puce à gigots et falbalas qu’elle avait héritée de Mlle Blandine. Pour compléter l’illusion, elle s’était emparée des tours de cheveux délaissés par sa maîtresse. Tistet l’aidait galamment, puis revenait s’asseoir auprès de M. Lagardelle. On vidait des pots, et le magister parlait tragédie à Tistet en répétant cet adage cher aux buveurs : « Ne me contredis pas, ce n’est pas le vin qui grise, c’est la contrariété. »

Un mouton entier rôtissait dans la cuisine. À l’entrée, sur un billot, on avait vidé l’estomac de la bête ; l’herbe qu’elle avait mangée était encore toute verte, n’ayant pas été ruminée. Les vieux paysans venaient un à un l’examiner lentement, et disaient : — Voilà un bétail bien tenu. Qui l’a gardé ?

— C’est moi, répondait Cabantoux.

— C’est bien gardé, tu es un bon pâtre. Et combien de temps gardes-tu le matin ?

— Trois heures, disait le fadad.

— Oh ! c’est bien manger pour trois heures, répondait-on. Tu es un bon pâtre.

Ce fut un grand triomphe pour Cabantoux.

Au bout de la grande table, dressée sous les arbres, on avait placé au milieu des fleurs le chef-d’œuvre d’Espérit : c’était une belle faïence émaillée, colorée dans des tons doux et clairs très gais à l’œil, figurant la Damiane assise sur ses gerbes, entre Marcel et Sabine. On y voyait la Cadette accroupie à leurs pieds, relevant la tête et broutant des verdures.


Jules de la Madelene.