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Le lendemain, par une de ces belles matinées de l’arrière-saison, il revint à la Pioline allègre et dispos, tout ranimé. — Ah ! les braves gens ! disait-il. Voilà une vraie famille, à l’ancienne. Espérit, pourquoi ne m’y as-tu pas mené plus tôt ?

— Ah ! si mademoiselle Blandine le savait ! répondit Espérit.


V.

À son retour de Seyanne, M. Cazalis trouva une lettre de Mlle  Blandine. Comme toujours, la tante renvoyait son retour aux calendes grecques. Elle se plaisait fort à Valence, disait-elle, elle était toute charmée de l’accueil qu’elle avait reçu de ses parens du Dauphiné ; elle voyait beaucoup de monde. C’étaient tous les jours des dîners, des concerts ; on jouait des proverbes et des charades, on dansait tous les soirs ; Sabine avait été très remarquée par un jeune magistrat ; tante Claudine le trouvait à son agrément, il lui faisait une cour assidue ; il était si épris de Sabine, qu’il s’était déjà avancé jusqu’à dire à la tante qu’il était disposé à donner sa démission, à briser sa carrière, pour venir se fixer à la Pioline. Ce futur mari était d’une vieille famille de robe ; il avait de très belles espérances de fortune. La tante n’avait pas encore parlé de ce mariage à Sabine, mais elle espérait que son frère Jean-de-Dieu saurait une fois dans sa vie faire acte d’autorité et de raison ; il fallait que le mariage se fit à Valence ; Sabine ne devait retourner à Lamanosc que mariée ; enfin on devait à tout prix éloigner Marcel, sinon pas de retour ; au besoin, elle était disposée à de grands sacrifices, et puisque Marcel avait des études à continuer, il n’y avait qu’à l’envoyer à cent lieues de là pour quelques années, et tout irait au mieux ; pour toute cette négociation délicate avec les Sendric, on pouvait se servir utilement de M. Dulimbert, qui avait tant de monde !

Si cette lettre avait été écrite huit jours plus tôt, on ne peut pas prévoir ce qui serait arrivé. M. Cazalis était à bout de patience, il s’ennuyait, il ne pouvait plus se passer de sa fille. Fatigué de la solitude, de l’isolement dans lequel il vivait, pris au dépourvu, désireux d’échapper à de nouvelles crises, peut-être serait-il entré dans les projets de sa sœur pour en finir : il est probable qu’il serait parti pour Valence. Une fois à Valence, repris et dominé par Mlle  Blandine, il aurait cédé à la longue, il se serait plié à tous les caprices de sa sœur. Cette lettre le prit dans des dispositions nouvelles, au moment de sa plus vive amitié pour les Sendric. Il revenait de Seyanne, plein de courage et d’entrain. Ce n’était plus le même homme, il avait repris toute sa gaieté innocente, toute sa bonne humeur ; mais pour la première fois de sa vie il se sentait un grand sérieux dans l’âme.