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grande partie de sa prospérité. Rien n’est plus digne d’admiration que les fruits et les céréales qu’on sait récolter sous un pareil climat, si ce n’est le parti qu’on sait tirer des produits les plus sauvages, comme le bois, le gibier et le poisson ; j’aime, au milieu des œuvres de la civilisation la plus raffinée, cette étiquette curieuse : Jambons d’ours de Niagara.

Je ne veux pas dire qu’il y ait lieu d’adopter pour l’Afrique le même système de liberté absolue ; nous n’en sommes pas encore là. Je veux dire seulement qu’il faut se confier davantage à la tendance spontanée des faits, et je reconnais que les idées des colons eux-mêmes s’améliorent beaucoup sous ce rapport ; ils commencent à moins attendre du gouvernement. Qui sait ? Quand on se donnera moins de peine pour développer la colonisation, elle marchera peut-être plus vite ; ce ne serait pas la première fois qu’on aurait travaillé contre son propre dessein.

Les États-Unis d’Amérique n’ont rien exposé en fait de produits agricoles ; nous verrons tout à l’heure qu’ils ont pris leur revanche pour les machines. Ils ont pensé sans doute qu’ils n’avaient rien à nous apprendre. Du coton, du maïs et du porc salé, voilà à peu près, comme je le disais en commençant, tout ce qu’ils pouvaient nous offrir ; mais ce coton, ils en produisent 600 millions de kilos par an, valant au moins 600 millions de francs ; ce maïs, ils en récoltent 200 millions d’hectolitres, valant au moins 2 milliards ; ces porcs, ils en abattent 20 millions ; ces trois seuls articles équivalent à toute la production agricole de la France, et dépassent celle de l’Angleterre. Ajoutez-y le froment, le tabac, le sucre, le riz, le gros bétail, et vous trouverez l’énorme chiffre de 6 à 7 milliards. Aucune nation au monde ne produit autant. Il est vrai que les États-Unis couvrent une surface énorme, mais ils n’avaient, il y a cent ans, qu’un million d’habitans, et ils en ont maintenant bien près de 30. Voilà ce qu’il était impossible d’exposer. Je comprends très bien que tout ce qui se sent mal à l’aise en Europe émigré volontiers dans ce pays-là, où les salaires sont élevés et les denrées alimentaires abondantes. Les merveilles de l’industrie des autres peuples pâlissent, pour moi, devant cette exposition absente. Les Américains ont malheureusement conservé l’esclavage, qui souille encore une partie de leur sol ; mais dans les états de la Nouvelle-Angleterre on est plus près que nulle part ailleurs de l’idéal de la société humaine, c’est-à-dire du point où personne ne souffre que les maux inhérens à notre infime et débile nature. L’immense développement agricole que je viens de signaler est pour beaucoup dans cette aisance universelle : la cause première, on la connaît.

À côté du géant américain, le reste du Nouveau-Monde disparaît. Les républiques du Sud, agitées de révolutions continuelles, n’ont pu