l’adoption d’un système de politique intérieure destiné à faire prévaloir sans exception le régime russe, même dans les parties de l’empire dotées d’institutions conformes à une civilisation plus avancée. Décidé à s’appuyer sur ce qu’il regardait comme le vrai parti russe, l’empereur Nicolas lui donna les gages d’un dévouement qui ne recula ni devant le mépris des traités, ni devant les conséquences d’une intervention tyrannique dans les matières du culte et de la foi. Une fatale méprise sur la destinée et sur les intérêts de ses peuples entraîna dès-lors dans une série de fautes et de violences inouïes un prince animé d’intentions généreuses, fils et époux de vertueuses princesses allemandes, doué d’un esprit élevé, dont l’éducation et les conseils d’hommes éminens avaient de bonne heure mûri les qualités. Comment expliquer de telles contradictions ? Par ce système russe dont l’empereur Nicolas se fit l’aveugle instrument. Civiliser par l’action d’un pouvoir sans limites, ici fut le rêve qui l’obséda et qui devait le perdre. Tandis qu’à l’occident la civilisation était l’œuvre et l’honneur des forces collectives, le système autocratique prétendait s’en faire en Russie le seul dispensateur, et réclamait à ce titre une obéissance absolue. Que devait-il arriver ? Partout ailleurs la législation civile et pénale était améliorée, les droits et la liberté des citoyens étaient étendus ; tout en s’entourant de garanties plus nombreuses, la justice se simplifiait. En Russie, Nicolas Ier, comme Catherine II, ne réussissait qu’à doter son pays de lois informes et souvent contradictoires : procédure ruineuse et sans publicité, pénalité barbare, vénalité du corps judiciaire, tyrannie de la police, aucun de ces abus ne disparaissait. Le sort des serfs, malgré les bonnes intentions de l’empereur, était de plus en plus assimilé au plein esclavage ; leur état moral ne faisait qu’empirer. On peut donc affirmer qu’à l’intérieur de la Russie le système de Pierre Ier est aujourd’hui jugé par ses effets. Aujourd’hui, comme à la mort de Pierre, il reste au gouvernement de cet empire une classe supérieure à moraliser, une classe moyenne à éclairer, une classe inférieure à affranchir. Les moyens de civilisation introduits il y a deux siècles en Russie étant condamnés par une si décisive expérience, le gouvernement russe ne peut-il reconnaître qu’il s’est trompé, revenir sur ses pas et chercher le progrès de son pays dans une autre voie ?
La même politique qui, sur le territoire de la Russie, s’est investie d’une autorité illimitée, semble revendiquer la suprématie en Europe. Si le servage et l’ignorance sont les conditions du système autocratique à l’intérieur, la guerre et la conquête sont ses conditions