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est sévèrement répréhensible, c’est d’avoir persisté de sang-froid dans une marche dont il était aisé de reconnaître les périls ; c’est d’avoir adopté le préjugé russe comme une règle immuable, d’avoir fait succéder le parti pris à un entraînement naturel. En présence d’une population composée de Russes proprement dits[1], de Polonais, de Finnois, de Courlandais, il eût fallu prendre pour point de départ des progrès à accomplir l’état social moyen des trois derniers groupes qui représentaient dans l’empire le plus haut degré de civilisation, améliorer l’état social de la portion polonaise, finnoise et germanique de la Russie, puis accélérer dans le même sens le mouvement progressif de la portion russe. En d’autres termes, élever les Russes au niveau des Allemands, Finnois et Polonais, telle était la tâche à remplir. Nicolas fit malheureusement tout le contraire, et, entraîné par son patriotisme moscovite, il prétendit abaisser les races les plus intelligentes au niveau de la race la moins avancée. Sa politique intérieure fut dès-lors hérissée d’obstacles, et l’application de son système eut pour conséquence naturelle d’étendre sur le lit de Procuste une moitié des populations gouvernées par le tsarisme.

Dès les premières années de son règne, et sans provocation, Nicolas Ier commença par supprimer, au mépris des traités[2], tous les privilèges, toutes les franchises des populations germaniques et scandinaves qui dépendaient de l’empire, et par les soumettre complètement au régime russe. Plus tard, il profita de l’insurrection de la Pologne (en 1831) pour abolir la constitution concédée par Alexandre à ce pays sous la garantie du congrès de Vienne, et pour substituer au code Napoléon, jusque-là conservé dans le royaume de Pologne, les lois civiles de l’empire russe. Enfin, dans une partie de la Pologne et de la Lithuanie, il contraignit les uniates ou grecs unis à l’église romaine à méconnaître la voix de leur conscience religieuse en renonçant à leur culte, en acceptant pour directeurs, au lieu des évêques et des prêtres fidèles à la doctrine traditionnelle, des évêques et des prêtres russes, en qui ils n’avaient aucune confiance et qui leur inspiraient de l’aversion. Tels furent les actes qu’entraîna

  1. La population de l’empire russe comprend : 1° des Russes proprement dits ou anciens Moscovites avec les groupes annexes des Petits-Russxiens et des Cosaques, — tous grecs, la plupart serfs ; — 2° des Polonais et Lithuaniens, de race slave, mais parlant des langues différentes, catholiques romains ou grecs unis, les uns serfs affranchis ou en voie de l’être, les autres libres ; — 3° des Finnois, de race Scandinave, protestons et libres ; — 4° des Courlandais, de race germanique, protestans et libres.
  2. Capitulation de Riga en 1710, paix de Nystad en 1721, — en ce qui concerne la Livonie et l’Esthonie. — Concession spontanée de Catherine II en 1795 en ce qui touche la Courlande. — Et quant à la Finlande, manifeste d’Alexandre en 1809, renouvelé en 1816, confirmé par Nicolas en 1826.