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tiers tout au plus des pièces que le public devrait connaître. On nous promet depuis longtemps la reprise de Rodogune, mais cette reprise dépendait du caprice de Mlle Rachel, et maintenant qu’elle est partie, il est impossible de prévoir quand cette promesse se réalisera. On a parlé de Venceslas, de Saint Genest, et tous ces projets se sont évanouis devant les jalousies et les exigences des premiers sujets. Il ne serait pas malaisé de réformer ce régime. La maison de Molière, ainsi nommée sans doute parce que sa fondation est postérieure de sept ans à la mort de l’auteur du Misanthrope, ne parait pas se souvenir du rôle qui lui est assigné. La subvention annuelle qu’elle reçoit la sépare nettement des entreprises dramatiques livrées à l’industrie privée. Le succès ne doit pas être le seul but que se proposent les comédiens de la rue Richelieu, et cependant ils ne paraissent pas avoir d’autre souci. Ils oublient ou du moins ils semblent oublier que le Théâtre-Français est une institution littéraire. Tant qu’ils persisteront dans la voie où ils sont engagés, tant qu’ils méconnaîtront la nature de la tâche qui leur est dévolue, on ne peut guère espérer que le goût public se modifie, s’épure, se corrige, ni que les écrivains dramatiques reviennent à la simplicité.

Il y a sans doute dans le répertoire du Théâtre-Français des œuvres d’une valeur très inégale. Je crois pourtant qu’il serait opportun de les soumettre au jugement de la foule pour élever le niveau général de l’intelligence. Qu’il y ait un choix à faire dans le passé, ce n’est pas moi qui le contesterai. Je voudrais toutefois qu’on ne se montrât pas trop sévère, trop scrupuleux dans ce triage littéraire, car il s’agit de mettre sous les yeux de la nation l’ensemble des pensées qui ont amusé, qui ont instruit le XVIIe et le XVIIIe siècle. Ainsi je pense que pour le répertoire tragique il ne faudrait négliger ni Rotrou ni Crébillon, dont la jeunesse connaît tout au plus les noms. Sans placer Rotrou sur la même ligne que Corneille, nous devons applaudir dans Venceslas des beautés de style qui assurent à cet ouvrage un rang très élevé. Il/tadiuiiiste et Zénobie, Idoménée, Catilina n’excitent pas en moi une bien vive admiration, et cependant je souhaiterais que le nom de Crébillon parût de temps en temps sur l’affiche du Théâtre-Français. Il y a dans ce poète sans éclat des parties de talent dont la génération nouvelle pourrait faire son profit.

Si les tragédies de Corneille, de Rotrou, de Racine, de Crébillon et de Voltaire étaient passées en revue comme le bon sens conseille de le faire, comme le prescrit l’institution même du Théâtre-Français, la foule arriverait peut-être à se former quelques notions de style, et, dans tous les cas, les jeunes écrivains élargiraient leur