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Je ne voudrais pas proposer les drames historiques du poète anglais comme des œuvres à l’abri de tout reproche. Lui-même, quoique étranger à toutes les discussions littéraires, semble avoir prévu les objections que ces drames soulèveraient, en leur donnant le titre modeste d'histoires (c’est le titre qu’ils portent dans l’édition de ses œuvres publiée par ses camarades sept ans après sa mort) ; mais parmi ces histoires il y en a une qui soutient la comparaison avec Othello, avec Roméo et Juliette, avec Hamlet, je veux parler de Richard III. C’est dans cette dernière pièce que nous devons chercher les lois qui régissent l’emploi poétique de l’histoire. Or que voyons-nous dans Richard III sinon la vie donnée à des personnages authentiques, la résurrection d’événemens avérés ? On peut trouver quelque chose à redire dans la succession des scènes, on peut souhaiter un peu plus d’artifice dans leur enchaînement ; encore ne faudrait-il pas exprimer ce vœu avec trop de hardiesse, car ce qui d’abord nous parait fortuit, abandonné au caprice, finit par prendre un caractère nécessaire. Ce qui domine dans Richard III, ce qui éclate à chaque page, c’est l’exubérance de la vie. Celui qui parmi nous trouverait moyen de ressusciter Charlemagne ou Philippe-Auguste, Louis IX ou Louis XI, François Ier ou Louis XIV, comme Shakspeare a ressuscité Richard, serait assuré d’obtenir les applaudissemens de la foule et les suffrages des connaisseurs. Cependant, quand je propose aux poètes de mon pays ce modèle glorieux, je ne leur conseille pas de l’imiter servilement. Il y a dans Richard III de très belles pensées exprimées dans une langue énergique, parfois étrange, dont le goût anglais s’accommode, dont le goût français ne s’accommoderait pas. Quel que soit mon respect, quelle que soit ma prédilection pour le côté éternel des œuvres d’imagination, je reconnais pourtant que les poètes doivent tenir compte du génie particulier des nations auxquelles ils s’adressent. Shakspeare, excellent pour l’Angleterre, admirable pour l’Europe entière, ne conserve pas partout son excellence. Il y a dans son talent deux parts à faire : la part universelle ou humaine, et la part locale ou anglaise. Heureusement la première domine la seconde, et toutes les fois qu’un esprit vigoureux voudra s’appliquer à l’étude de ses œuvres, il sortira de cette épreuve enrichi de forces nouvelles.

Schiller, qui avait abordé avec une égale ardeur toutes les parties de l’histoire et de la philosophie, ne s’est pourtant jamais élevé au-dessus de Richard III. Plus savant que le poète anglais, s’il analyse les caractères avec autant de profondeur, il sait rarement les douer d’une vie aussi abondante, aussi spontanée. J’admire très sincèrement Don Carlos, Wallenstein et Guillaume Tell, et cependant je suis forcé d’avouer que dans ces œuvres si belles, si pathétiques, la philosophie