le sort de la Czarine. Cependant il faut avouer que M. Scribe, malgré son habileté, passée en proverbe parmi les hommes du métier, avait trop compté cette fois sur la complaisance du public. Bertrand et Raton, le Verre d’eau et même les Contes de la Reine de Navarre sont de vrais chefs-d’œuvre, si on les compare à la Czarine. L’auteur avait traité, avec un sans-façon qui pouvait s’appeler témérité, l’histoire danoise, l’histoire anglaise et l’histoire de France ; mais il avait réussi, sa cause était gagnée : aux yeux du public, le succès absout. Si quelques esprits chagrins refusaient encore de l’accepter comme un maître et de voir en lui l’héritier de Molière, il s’en consolait facilement en songeant qu’il avait pour lui l’approbation de la foule ; s’il n’avait pas écrit le Misanthrope, il s’entendait à faire une pièce ; beaucoup mieux que le créateur d’Alceste et de Célimène. Malheureusement, enhardi, égaré par la louange, il a voulu toucher à l’histoire de Russie, et dans cette dernière tentative il a échoué, au grand étonnement de ses admirateurs. Je n’ai pas à rappeler les incidens de cette soirée. Ce qu’il importe de noter, c’est que M. Scribe, qui pendant tant d’années s’était moqué si gaiement de l’école nouvelle, qui l’avait chansonnée aux applaudissemens du parterre, qui l’avait raillée si finement rue de Chartres et au boulevard Bonne-Nouvelle, n’a pas dédaigné, en écrivant la Czarine, de lui emprunter ses procédés. Serait-il donc vrai que les plus fermes convictions finissent par s’ébranler ? Appliquer les principes de l’école nouvelle après avoir promis de mettre ses œuvres en ballet afin d’en épargner le style aux oreilles délicates, quel nom mérite une telle conduite ? N’est-ce point une véritable apostasie ?
Je ne voudrais pas exagérer l’importance de cette défection. Que M. Scribe proteste contre les novateurs ou applique leurs doctrines, au fond ce n’est pas là un grave événement. À proprement parler, l’auteur de la Czarine n’a jamais eu de principes bien arrêtés ; il s’inquiète assez peu des systèmes littéraires. Pourvu qu’il réussisse, qu’il amuse le parterre, il se préoccupe peu du reste ; mais il n’a pas réussi en greffant le drame moderne sur le vieil opéra-comique, et je ne serais pas étonné que cet échec l’amenât à résipiscence. Peut-être se repentira-t-il de sa faiblesse, peut-être aiguisera-t-il de nouvelles et plus terribles épigrammes contre les partisans de Shakspeare et de Schiller, qui se contentent de les vanter et se dispensent de les imiter.
Le sort de la Czarine ne m’a pas surpris : dès les premières scènes, il était facile de pressentir l’indifférence du public ; mais je n’ai pu m’empêcher de songer avec regret aux soirées tumultueuses de la restauration et du règne suivant. À cette époque, déjà si loin de nous, ceux qui écrivaient pour le théâtre, ceux qui venaient assister à la