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de près de 40 millions de stères, la marine militaire ne puisse plus trouver les 40,000 mètres cubes qu’elle emploie tous les ans ? D’où vient enfin que, malgré la somme des besoins, la qualité des essences et la fertilité du sol, la propriété forestière française soit une des moins productives, et que nos bois ne rapportent en moyenne que 30 fr., par hectare, de produit brut, réduit à 20 fr. tout au plus de produit net ? La réponse à cette question se résume en un seul mot, la préférence généralement donnée à l’exploitation en taillis sur l’exploitation en futaie, ou du moins la trop grande brièveté des révolutions et l’absence de réserves suffisantes.

L’exploitation en taillis n’a qu’un but, produire du bois de feu, soit pour les usines, soit pour les ménages. La demande des bois de feu a toujours été croissante en France jusqu’à ces derniers temps, d’abord à cause du progrès de la population, ensuite par la création et le développement successif des industries qui employaient le bois comme combustible. Le maximum de la demande a été atteint vers 1845. Depuis, un mouvement contraire s’est produit, d’abord lent et incertain, puis plus rapide et plus prononcé. Il est dû à l’invasion du combustible minéral, la houille, qui, à mesure que s’étend le réseau des chemins de fer, tend à se répandre partout et à remplacer de plus en plus le bois, soit dans la consommation industrielle, soit dans la consommation domestique. À Paris surtout, la demande du bois de feu a diminué dans des proportions inquiétantes pour les producteurs ; la consommation annuelle de cette capitale, qui avait atteint 1,200,000 stères, est tombée à 800,000. Dans le même temps, la consommation de la houille a quadruplé, elle a passé d’un million d’hectolitres à quatre. Des faits du même genre se sont présentés dans les districts métallurgiques ; un document officiel émané du ministère de l’agriculture et du commerce constate que les forges, qui avaient employé en 1847 près de 7 millions de quintaux métriques de bois, n’en avaient plus consommé, de 1848 à 1852, que 5 millions en moyenne, et que, le prix ayant baissé avec la demande, la perte pour les propriétaires vendeurs avait dépassé 20 millions de francs par an.

Depuis quelque temps, la dépréciation a paru s’arrêter ; je ne crois pas que la houille puisse jamais arriver à se substituer complètement au bois dans la consommation nationale, la hausse actuelle de ce combustible prouve qu’il a ses limites ; mais je ne serais nullement surpris que le prix des bois de feu baissât encore. Cette circonstance fâcheuse en elle-même peut avoir de bons effets, en forçant la propriété forestière à réduire ses coupes et à modifier son mode d’exploitation, de manière à revenir le plus possible vers la futaie. Je sais que cette transformation exige un sacrifice immédiat de revenu, et que par conséquent elle est peu à la portée d’un grand