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suite admirable d’annales, nous fait assister à la longue agonie du grand règne, et nous montre, au lendemain de ses funérailles insultées, les excès de la licence et de la honte succédant aux humiliations de l’orgueil et aux abaissemens de la force.

Le XVIIe siècle approchait de son terme. Déjà était finie l’ère des grandes choses, et bientôt allait achever de s’éteindre la génération des grands hommes. La France avait vieilli avec son roi. Incarnée en quelque sorte dans un homme, elle avait avec lui traversé les jours brillans de la jeunesse et les fécondes années de la virilité : avec lui et du même pas, elle allait entrer dans les défaillances de la décrépitude.

L’Europe entière s’est liguée contre elle : seule, elle a soutenu le choc de l’Europe; mais dans sa stérile victoire s’épuise ce qui lui restait de force. Au dehors, le mouvement d’expansion et de conquête qui l’animait a rencontré son point d’arrêt; au dedans, le génie de la guerre et de la violence a flétri les germes de prospérité déposés sur le sol par le génie de l’industrie et de la paix.

Versailles est aussi brillant, Louis aussi magnifique; mais sous ces splendeurs toujours renaissantes, sous ces pompes dont rien ne dérange la majestueuse ordonnance, que de maux secrets se laissent déjà deviner ! que de symptômes d’affaiblissement politique et de relâchement moral ! Toutes nos gloires pâlissent à la fois. Les lettres même, malgré les grands noms qui les illustrent encore, ne jettent plus que par intervalle quelques lueurs magnifiques. La Bruyère et Sévigné, La Fontaine et Racine disparaissent coup sur coup, et tout à l’heure va tomber et se taire la grande voix du siècle, celle qui du haut de la chaire racontait « les fatales révolutions des monarchies et les terribles leçons que Dieu donne aux rois. »

Ces leçons qu’annonçait l’orateur chrétien, ces leçons que la Providence tient en réserve pour les dominateurs des nations, voici qu’elles éclatent sur la tête du grand roi. Du comble le plus élevé des prospérités humaines, il voit sa fortune s’écrouler, sa puissance atterrée; aux deuils de la patrie il voit s’ajouter les deuils de sa maison, et bientôt, chargé de jours et d’ennuis, rassasié de gloire et de douleurs, ce potentat redouté, ce monarque, objet de tant d’admirations et d’envie, va s’éteindre, triste et seul au fond de son palais désert, en déposant sa couronne sur le front d’un enfant.

Avec le vieux roi, la vieille monarchie s’est couchée dans la tombe. Le pouvoir suprême perd à la fois son prestige et sa force. Une réaction violente emporte les esprits, las d’une longue sujétion, et la société, préludant à la liberté philosophique par la licence des mœurs, passe sans transition d’un régime despotique et glorieux à un régime impuissant et avili. Quel tableau que celui de la cour de